[DOSSIER] Les lois contre le sexisme sont-elles suffisantes ?

"Slutwalk" : Manifestation contre le sexisme et le harcèlement, septembre 2011.

La société occidentale aime à présenter l’égalité entre femmes et hommes comme une de ses principales réalisations. Nous grandissons avec l’idée que les hommes et les femmes sont égaux. Les femmes peuvent voter et accéder à l’enseignement, il existe des lois contre le harcèlement sexuel, des femmes occupent des postes à responsabilité, le principe de l’égalité salariale est reconnu,… Et il est vrai que la vision qu’ont les jeunes filles de leur avenir ne se limite plus aux tâches ménagères et à s’occuper des enfants.

Par Emilie (Gand)

Discrimination et sexisme n’ont pas disparu

Toutes ces réalisations ne doivent cependant pas cacher le fait que les discriminations et le sexisme sont toujours bien vivants. Mains baladeuses, regards insistants, gestes vulgaires, commentaires obscènes, utilisation du corps de la femme à des fins commerciales, intimidation, harcèlement, agression, viol : le sexisme est partout. Cette situation a récemment été remise en pleine lumière en Flandre avec le hashtag #wijoverdrijvenniet (nous n’exagérons pas) et tout le débat public qui a surgi autour de la question du viol en raison du suicide de l’ancien président du SP.a Steve Stevaert (accusé de viol et d’attentat à la pudeur).

La blogueuse Yasmine Schillebeeckx a mis en branle cette vague d’indignation avec un article consacré à son expérience du harcèlement de rue publié dans le quotidien De Morgen le 8 mars – Journée internationale des femmes -et intitulé ‘‘Je ne m’appelle pas Hey Sexy’’. Les réactions furent vives, notamment de la part des chroniqueurs Guido Everaert et Marc Didden dans les colonnes du même journal. Pour eux, il s’agit d’une ‘‘geignarde’ étiquetée de ‘‘Jeffrouw Truttebol’’ (que l’on pourrait approximativement traduire par ‘‘Mademoiselle peau de vache’’) qui ‘‘devrait apprendre à faire face à des compliments’’. Afin de montrer qu’elle était loin d’être isolée, Yasmine Schillebeeckx a appelé à partager des témoignages de sexisme ordinaire sur les médias sociaux en utilisant le hashtag #wijoverdrijvenniet. Il fut utilisé 18.000 fois en quelques jours à peine!

Et la loi contre le sexisme ?

En 2013, les médias avaient également accordé une large attention au harcèlement de rue en réaction au documentaire controversé ‘‘Femme de la rue’’ dans lequel une jeune femme filmait en caméra cachée le harcèlement constant dont elle était victime en rue avec insultes, pressions diverses,… La ministre de l’égalité des chances de l’époque, Joëlle Milquet, avait alors promis de réprimer les discriminations à l’encontre des femmes. C’est ainsi qu’entra en vigueur la loi contre le sexisme, le 3 août 2014, visant : ‘‘Tout geste ou comportement verbal ou autre, qui a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une per-sonne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer comme inférieure ou de la réduire essen-tiellement à sa dimension sexuelle, ce qui porte une atteinte grave à sa dignité’’ à l’aide d’une Sanction Administrative Communale (SAC).

Joëlle Milquet a donc réduit le sexisme au rang de nuisance dont sont censés se charger les SAC tout en individualisant ce qui est fondamentalement un problème social. La loi contre le sexisme considère que la responsabilité de l’acte repose essentiellement sur l’individu. Les agences publicitaires, qui répandent à travers le monde le sexisme et l’image du corps des femmes en tant qu’objet, peuvent donc continuer à vaquer tranquillement à leurs occupations.

Pourtant, les agences publicitaires sont un vecteur majeur de la conception des femmes en tant qu’objets sexuels. Pour chaque produit (des voitures aux soirées étudiantes), le corps féminin est utilisé pour stimuler les ventes. Notre opposition à l’utilisation du corps des femmes dans la publicité n’a rien à voir avec la pudeur. En tant que marxistes, nous défendons les acquis de la lutte émancipatrice pour la liberté sexuelle menée par les générations précédentes de féministes. Mais nous nous opposons à l’utilisation du corps féminin (et masculin) à des fins commerciales.

Nous sommes quotidiennement confrontés au corps (souvent nu) de la ‘‘femme idéale’’, source pénible de complexes physiques. Des études illustrent qu’en Europe, seul 1% des jeunes filles se déclarent entièrement satisfaites de leur corps. La moitié des filles de 6 ans au Royaume-Uni se trouve trop grosse. En plus de favoriser des maladies telles que l’anorexie et la boulimie, qui peuvent être mortelles, la confrontation quotidienne à cette représentation ‘‘idéale’’ assure que les femmes se considèrent avant tout comme des objets sexuels et seulement ensuite comme des êtres humains doués de pensée.

De la sorte, les femmes sont ainsi mises sous pression pour accepter des comportements sexuels qui ne répondent pas à leurs besoins et désirs. Nous défendons la liberté sexuelle, mais cette liberté implique aussi le droit de dire ‘‘non’’ et d’attendre que ce refus soit respecté.

La mort de l’ancien président du SP.a, Steve Stevaert, et les propos tenus par le doyen de la faculté de psychologie de la VUB, William Elias, dans ce cadre (‘‘en cas de viol, on se rend directement à la police, ou, si nécessaire le jour suivant. Pas trois ans après’’) ont fait ressurgir le débat sur le viol et la violence à l’encontre des femmes. En moyenne, 8 viols sont rapportés par jour en Belgique. Entre 2009 et 2011, il y a eu une augmentation de 20% des plaintes, alors que l’on estime que 9 victimes de viol sur 10 ne portent pas plainte. On essaye trop souvent de démêler les causes des viols de la société en général et de ces relations sociales. Notamment en disant que les filles ivres sont plus susceptibles d’être victimes de violences sexuelles, ce qui place la responsabilité du crime sur les victimes elles-mêmes, à l’instar de cet autre ‘‘argument’’ selon lequel porter moins de jupes courtes entrainerait moins de commentaires sexistes dans la rue. Toutefois, la majorité des viols s’effectue toutefois au sein du cercle familial.

Les mesures proposées aujourd’hui sont du même tonneau qu’au temps de Joëlle Milquet en 2013. La secrétaire d’État à l’Égalité des chances, Elke Sleurs, veut promouvoir de meilleures équipes de soutien psychologique et une formation spécifique pour les policiers et les enseignants. Ces propositions sont bien entendu les bienvenues, mais elles ont pour point commun d’être axées sur les cas individuels. Tout comme la loi contre le sexisme de Milquet, cette approche est de s’en prendre aux symptômes sans s’attaquer aux causes.

Lutter contre les causes du sexisme

Au cours des dernières années, la colère contre le sexisme a fortement progressé. En Chine, des mobilisations se sont opposées à l’arrestation de militantes féministes. Dans des pays comme la Turquie et l’Inde, des mouvements de masse s’élèvent contre les violences commises contre les femmes. En Belgique, il y a eu la ‘‘Slutwalk’’ en 2011 : des marches de protestation dans laquelle des femmes et des jeunes filles revendiquaient le droit de s’habiller comme elles le souhaitent, sans que cela ne soit considéré comme une invitation à l’agression ou au sexisme. ‘‘Non, c’est non’’, ‘‘La rue est à toutes’’ et ‘‘Mon corps, mon choix, ma liberté’’ étaient quelques-uns des slogans portés par cette marche antisexiste.

Mais cette discussion sur le sexisme se déroule dans un contexte de politique d’austérité drastique appliquée par les gouvernements précédents et actuels.

Les nouvelles mesures mises en place par Di Rupo concernant la limitation dans le temps des allocations de chômage dites d’insertion signifient par exemple que des dizaines de milliers de personnes perdent ou vont perdre leurs allocations. Parmi elles se trouvent 65% de femmes. La limitation des allocations de chômage pour les cohabitants assure aussi que de nombreuses femmes n’obtiennent que 125 euros par mois.
La réforme des retraites du gouvernement Michel nécessite 42 ans de carrière pour bénéficier d’une pension complète. Trois femmes sur quatre n’arriveront jamais à une carrière de 42 ans, et la situation sera encore pire s’il est décidé de ne plus compter un certain nombre de périodes assimilées (congé de maternité, chômage temporaire, congé parental, …).

A cela s’ajoute encore les coupes budgétaires dans les services publics. Maggie De Block, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, veut opérer une économie de 355 millions d’euros dans le budget des soins de santé pour l’an prochain. En Flandre, le gouvernement régional veut sabrer 133 millions d’euros dans l’accueil à la petite enfance. Les longues listes d’attentes sont une réalité cruelle dans tous les aspects du secteur de la santé, même dans les dossiers les plus urgents. Concrètement, cela signifie que nombre de tâches reviennent sur les épaules des familles, et plus particulièrement sur celles des femmes. Le ménage, l’éducation des enfants et les soins aux personnes âgées ne sont souvent pas compatibles avec un travail à temps plein. Cela explique pourquoi les femmes sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel, se fermant ainsi les portes du droit à une pension complète. Un quart des pensionnées n’ont droit qu’à une pen-sion de moins de 500 euros. Les bas salaires et l’augmentation du coût de la vie entrainent un risque accru de sombrer dans la pauvreté pour les femmes célibataires. L’indépendance financière des femmes qui s’est dé-veloppée fin des années ‘50 a rapidement été éliminée.

La lutte reste nécessaire

Si les femmes d’aujourd’hui ont atteint une plus grande émancipation, c’est le résultat de la lutte des générations précédentes qui se sont battues pour arracher l’indépendance, la liberté et l’égalité. Mais si ce combat n’est pas couplé à la lutte contre le capitalisme, ce système est capable de pervertir à son avantage le moindre progrès et d’en faire une source de profit. Nous disposons aujourd’hui d’une plus grande liberté sexuelle, mais le sexe est aussi devenu omniprésent comme produit commercial générateur de gigantesques profits (notamment dans l’industrie pornographique, les cosmétiques, la publicité,…). Le sexisme a approvisionné le capitalisme en ‘‘nouveaux marchés’’ générateurs de profits juteux tels que la chirurgie plastique, les régimes alimentaires, le maquillage,….

C’est pourquoi la lutte contre le sexisme ne peut pas être isolée de la lutte plus générale contre l’ensemble du système capitaliste qui produit le sexisme. La lutte pour les droits des femmes est inextricablement liée à la construction d’une société différente, une société où la liberté sexuelle ne serait pas utilisée à des fins commerciales, où des services publics de qualité et abordables renforceraient l’égalité entre hommes et femmes en soutenant l’indépendance financière de ces dernières, une société où le temps de travail aurait été collectivement réduit (à 30 heures par semaine) afin de résoudre le problème du chômage de masse et d’assurer à chacun de bénéficier d’un bon équilibre entre travail et vie familiale.

Les besoins des femmes sont ceux de l’ensemble de la population active: de bons salaires, des conditions de travail décentes, des services publics de qualité et accessibles reprenant une partie des tâches ménagères. Par conséquent, femmes et hommes doivent lutter ensemble pour une société socialiste.

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