Avec 24% de l’électorat, les Tories n’ont aucun mandat pour leur austérité sauvage
Le vendredi 8 mai, la première page du Daily Mirror était entièrement noire, à l’exception d’un petit titre: « A nouveau condamné – cinq années maudites de plus ». Cela aura très certainement correspondu au sentiment de millions de personnes qui ont découvert que les conservateurs du parti Tory avaient réussi, de façon inattendue, à arracher suffisamment de voix que pour constituer un gouvernement majoritaire. David Cameron est ainsi le premier Premier Ministre en exercice à accroître le soutien électoral de son parti depuis 1955. Travailleurs, pensionnés, jeunes, chômeurs, handicapés, etc. vivent maintenant dans la crainte des misères qu’infligera ce nouveau gouvernement. Pendant ce temps l’indice FTSE 100 (indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées cotées à la bourse de Londres, NDT) a grimpé de 40 milliards £ , signe que les marchés financiers célébraient l’élection de «leur gouvernement».
Déclaration du Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)
Il est incroyable que le Parti Travailliste ne soit pas parvenu à vaincre les Tories après ce qui s’est passé ces 5 dernières années. Le gouvernement dirigé par les Tories (en coalitions avec les Libéraux-Démocrates) a opéré des coupes à hauteur de 35 milliards £ dans les budgets des services publics, soit plus que tout autre gouvernement depuis la seconde guerre mondiale.
Près d’un million de personnes dépendent maintenant des banques alimentaires pour nourrir leurs familles. Les travailleurs ont souffert de la plus sévère contraction salariale depuis l’ère victorienne et, malgré les propos du chancelier George Osborne au sujet de la reprise économique, la moyenne des revenus reste 2% en dessous du niveau connu avant la récession. La coalition conservateurs / libéraux-démocrates avait promis que l’austérité serait capable d’en finir avec le déficit budgétaire. C’est tout le contraire qui s’est produit ! Osborne avait estimé que le déficit serait de 37 milliards £ en 2015, il serait bien plus question de 80 milliards £!
Les conservateurs n’ont pas gagné, ce sont les travaillistes qui ont perdu !
Les conclusions tirées par les experts et les médias capitalistes sont que toute cette misère n’est pas trop impopulaire et que les travaillistes ont perdu parce que, comme l’a expliqué le partisan de Tony Blair Lord Hutton, les gens refusent le vieux «menu socialiste de la vieille école». Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les travaillistes n’ont pas perdu pour avoir été trop à gauche, mais au contraire parce qu’ils ne l’ont pas suffisamment été et qu’ils ont refusé de défendre une alternative à l’austérité. Ils se sont limités à soutenir une «austérité-light».
Même le Financial Times, dans un article intitulé «Miliband paie le prix de son virage à gauche», admet (en totale contradiction avec son titre) que les seules fois où la popularité de Miliband a augmenté étaient lorsqu’il semblait fugitivement vouloir s’en prendre aux intérêts des banquiers, des médias ou des entreprises énergétiques.
La popularité du refus de l’austérité a été illustrée par le succès obtenu par le SNP (parti nationaliste écossais) en Ecosse. Les travaillistes, qualifiés par les Ecossais de «Tories rouges» ont pratiquement été annihilés (le SNP a raflé 56 sièges sur les 59 sièges écossais en jeu pour le parlement de Westminster, NDT). En réalité, le SNP a appliqué une politique d’austérité en Ecosse, mais ce parti a été capable de vaincre en se profilant à la gauche des travaillistes et en adoptant une rhétorique anti-austérité.
Les travailleurs écossais n’ont pas d’approche fondamentalement différente de celle en vigueur en Angleterre et au Pays de Galles. Là aussi, nombreux ont été ceux qui ont été enthousiastes en entendant une voix qui semblait s’élever contre l’austérité. Un sondage d’opinion a d’ailleurs montré que le SNP aurait pu remporter 9% des voix en Angleterre et au pays de Galles, alors qu’il ne s’est présenté qu’en Ecosse ! Durant les débats électoraux, l’une des recherches les plus fréquentes sur google était : «Puis-je voter pour le SNP en Angleterre ?»
Les travaillistes n’ont eu de cesse de répéter qu’ils allaient eux aussi procéder à l’application de mesures d’austérité dans les dépenses publiques et serait «plus dur concernant les avantages sociaux» que les conservateurs… Ed Miliband a refusé d’envisager toute formation d’un gouvernement soutenu par la SNP, même si cela devait signifier que les conservateurs arrivent au pouvoir en tant que minorité. Le Parti Travailliste a clairement signalé qu’il n’était pas question pour eux d’en finir avec l’austérité et que personne ne devait entretenir d’illusion sur ce point. Finalement, les travaillistes n’ont réussi qu’à très légèrement augmenter leur vote, avec une hausse de 1,8% par rapport au résultat catastrophique de 2010.
Les premières analyses des résultats suggèrent qu’un des facteurs clés de ces élections a été le taux de participation. Le taux de participation en Angleterre n’a été que d’un peu plus de 65% et il semble bien qu’une bonne partie de ceux qui avaient initialement dit qu’ils voteraient travailliste soient restés chez eux.
Un vote de protestation
D’autres ont voulu marquer leur protestation en votant pour le parti populiste de droite UKIP, qui a su s’attirer près de quatre millions de voix et est arrivé en deuxième position dans plus de 90 circonscriptions électorales, nombre d’entre elles étant d’anciens bastions travaillistes. Il semble que les électeurs traditionnellement conservateurs soient retournés au bercail et ont voté Tory quand l’heure de vérité a sonné tandis que plus d’anciens électeurs travaillistes issus de milieux ouvriers soient restés coincés avec le UKIP. D’autres – autour d’un million de personnes – ont voté pour les Verts, qui ont augmenté de façon spectaculaire leur nombre de voix en mettant l’accent sur une rhétorique anti-austérité.
Avec les élections locales qui avaient lieu le même jour dans toute l’Angleterre (à l’exception de Londres), plus de 100.000 personnes ont voté pour l’alliance 100% anti-austérité de la TUSC (Trade Unionist and Socialist Coalition, coalition de syndicalistes et de socialiste, initiative à laquelle ont participé nos camarades du Socialist Party d’Angleterre et du Pays de Galles, NDT). Pour plus de détails : voir les résultats sur www.tusc.org.uk.
Des millions de personnes qui ont refusé de voter ou qui ont voté pour d’autres partis auraient pu être gagnés à voter pour le Parti Travailliste si ce dernier avait clairement dénoncé l’austérité en défendant un programme comprenant des mesures comme la renationalisation des chemins de fer, des compagnies énergétique et de la Royal Mail (la poste britannique) ; l’augmentation immédiate et substantielle du salaire minimum ou encore l’élaboration d’un programme massif de construction de logements sociaux. Mais au lieu de cela, le manifeste électoral des travaillistes a revêtu les habits des Tories et s’est concentré sur la nécessité de couper dans les dépenses publiques et sur la réduction du déficit budgétaire. Néanmoins, même les mesures très limitées proposées par Miliband (le gel des prix de l’énergie ou l’impôt sur les habitations secondaires) ont fortement irrité la classe capitaliste.
Ce ne fut toutefois pas Miliband ou la direction travailliste que les capitalistes craignaient. C’était l’appétit pour le changement que ces mesures, même excessivement mineures, auraient pu éveiller parmi la classe des travailleurs. Particulièrement dans le cas d’un soutien du SNP, les capitalistes craignaient qu’un gouvernement dirigé par les travaillistes soit incapable de résister à la pression de la classe des travailleurs pour exiger des changements profonds après les cinq dernières années de misère. En conséquence de quoi la plupart des médias ont littéralement vomi sur Miliband, en le qualifiant à tort du sobriquet de «Red Ed» (Ed le rouge). Les propositions minimes de Miliband ont été suffisantes pour que la classe capitaliste l’attaque sauvagement, mais elles n’ont pas permis de motiver la classe des travailleurs et la classe moyenne.
Les conservateurs
Les conservateurs ont donc été en mesure de remporter les élections en dépit de leur très faible progression. En 2010, seuls 24% des électeurs avaient voté conservateur. Cette fois-ci, leur soutien électoral a légèrement augmenté (un peu plus d’un demi-million de voix), mais il s’agit toujours de 24,4% de l’électorat global. C’est très loin de constituer une claire approbation de leur politique à venir, qui poursuivra l’application d’une austérité sauvage. Les libéraux-démocrates ont par contre été brutalement punis pour avoir participé à cette coalition : ils ont perdu plus de quatre millions de voix. C’est d’ailleurs essentiellement en ayant été en mesure de remporter une section des électeurs libéraux-démocrates les plus à droite que les conservateurs ont été en mesure de gagner plus de sièges au parlement. Pourquoi voter pour la copie quand l’original se présente à vous ?
Une partie des travailleurs les plus aisés ont espéré que le pire de l’austérité est passé et ont imaginé à tort qu’un nouveau gouvernement conservateur puisse apporter une certaine croissance économique. L’absence de confiance envers les capacités des travaillistes à gérer l’économie a sans doute été un autre facteur clé dans ces élections. C’est bien entendu inévitable au vu que ces derniers se sont alignés sur la logique poursuivie par les conservateurs et les libéraux-démocrates.
Le gouvernement a fait reporter la responsabilité de la crise du système capitaliste – déclenchée par les banquiers – sur les prétendues dépenses publiques excessives des travaillistes. Et face à cela, les travaillistes ont passé cinq ans à convenir qu’il était vital de réduire les dépenses publiques! Paul Krugman, l’économiste keynésien, a fustigé les travailliste une semaine avant la tenue des élections pour avoir rejoint les conservateurs en promettant «une nouvelle tournée d’austérité» après les élections et pour être «étonnamment disposés à accepter les propos selon lesquels les déficits budgétaires représentent le plus grand enjeu économique auquel la nation fait face.»
Toutes les illusions entretenues au sujet des capacités des conservateurs de faire revenir la croissance économique et une prospérité accrue pour la majorité de la population pourraient être brisées très rapidement. La croissance qui a pris place est largement basée sur le développement partiel des bulles financières et de crédit qui ont éclaté en 2007. Pendant ce temps, la production industrielle britannique reste exceptionnellement faible et l’écart de productivité avec les autres grandes puissances économiques continue de se creuser : la production par heure est 16% inférieure à ce qu’elle aurait dû être si la tendance pré-crise avait continué. La perspective d’une nouvelle récession, peut-être bien déclenchée une fois de plus par le secteur financier, se pose pour la période qui nous fait face, mais cette fois-ci alors que les conservateurs sont au pouvoir.
Les conservateurs ont également pu avoir un certain succès en jouant sur la peur du nationalisme écossais et du SNP. Les travaillistes auraient pu y couper court en défendant un programme résolument anti-austérité et en appelant le SNP à le soutenir au parlement. A la place, les travaillistes ont choisi, une fois de plus, d’accepter la rhétorique des conservateurs.
Affaiblir le nouveau gouvernement
David Cameron a donc été en mesure d’arracher une étroite majorité de douze sièges, soit une majorité encore plus limitée que celle du John Major (21 sièges), la dernière fois que les conservateurs sont parvenus à constituer un gouvernement majoritaire. A l’époque, l’euphorie des conservateurs qui avaient remporté les élections n’avait pas duré longtemps… Aujourd’hui, on se souvient du gouvernement Major comme d’un gouvernement Tory faible et divisé. Il en ira de même pour Cameron. Son gouvernement devra faire face à une énorme agitation sociale.
En 1992, les élections avaient été suivies par le Mercredi Noir (lorsque la livre sterling est sortie du Système monétaire européen, SME) et par une récession économique. Le mouvement massif contre les fermetures de mines à la fin de cette année avait bénéficié d’un énorme soutien populaire, y compris de la part de beaucoup de gens qui avaient voté pour les Tories quelques mois auparavant.
La faible majorité dont dispose ce gouvernement ne l’empêchera pas de lancer de nouvelles attaques antisociales encore plus vicieuses. Le Financial Times a déclaré que les réductions de dépenses publiques à venir seraient «nettement plus sévères que celles appliquées au cours des cinq années de la dernière législature»! Parallèlement à cela, le nouveau gouvernement est aussi susceptible de lancer un nouvel assaut contre les droits syndicaux.
Contre l’austérité, il nous faut un mouvement de résistance massif. Le dernier gouvernement aurait pu être battu si la grève générale du secteur public de novembre 2011 avait été utilisée comme point de départ pour un mouvement de masse généralisé contre l’austérité. Mais la majorité des dirigeants syndicaux ont fait dérailler la lutte en disant aux travailleurs qu’il fallait attendre l’arrivée d’un gouvernement travailliste. Nous devons nous organiser pour empêcher que cela se reproduise à nouveau.
La conférence nationale des délégués syndicaux (National Shop Stewards Network, NSSN) du 4 juillet sera essentielle pour aider à préparer ce combat. Quand ce gouvernement lancera sa prochaine attaque, le mouvement des travailleurs devra réagir avec une puissante grève générale de 24 heures. Si un mouvement contre l’austérité est bloqué par les dirigeants syndicaux, la résistance sociale trouvera une autre voie, comme cela est arrivé en Irlande avec le mouvement contre la taxe sur l’eau, qui s’est développé en dehors des structures syndicales.
Dans le même temps, le mouvement des travailleurs a besoin de construire sa propre voix politique. Les dirigeants syndicaux travaillistes sont susceptibles de faire valoir une fois de plus que la seule réponse est d’essayer de pousser vers la gauche le Parti Travailliste. Pourtant, les partisans les plus farouches de l’ère de Tony Blair exigent une seule chose de Miliband : qu’il balance à la poubelle les derniers vestiges des structures démocratiques qui permettaient aux syndicats d’avoir un mot à dire sur l’orientation du parti.
La confédération syndicale Unite et les autres syndicats donnent plusieurs millions de livres aux travaillistes pour financer leur campagne électorale. Mais ils n’ont rien à dire sur la manière dont cette campagne est menée. Les syndicats ne disposent même pas d’une seule voix concernant l’élection du dirigeant du Parti Travailliste.
Les dirigeants syndicaux affiliés au Parti Travailliste sont susceptibles de regarder vers Andy Burnham avec l’espoir qu’il sera un dirigeant plus à gauche. Mais son histoire au sein du parti ne le situe pas plus à gauche que les autres. Alors qu’il était ministre de la Santé au sein du dernier gouvernement travailliste, il a supervisé l’extension dramatique de la privatisation du service national de soins de santé.
Avant les élections, Len McCluskey, secrétaire général du syndicat Unite, a suggéré que si les travaillistes se révélaient incapables de vaincre les conservateurs, le moment serait alors venu de réfléchir à un nouveau parti. Le résultat de ce 7 mai place ce constat au centre du débat. Le mouvement syndical a de toute urgence besoin de discuter de la création d’un nouveau parti de masse pour et par les travailleurs.
Lors de ces élections, la Coalition de syndicalistes et de socialistes (TUSC) ne disposait pas de la force ou du profil nécessaires pour attirer une majorité de l’atmosphère anti-austérité. Sa campagne a toutefois donné un aperçu de l’enthousiasme que pourrait créer une nouvelle force anti-austérité de masse.