Changement climatique : À la recherche d’une solution bon marché

Le cyclone qui a frappé l’île de Vanuatu dans le Pacifique en mars dernier fut le plus dévastateur jamais enregistré dans la région. Il a mis en évidence une nouvelle fois le lien très probable qui existe entre les conditions météorologiques extrêmes et le réchauffement climatique.

Peter Dickenson, article paru dans le Socialism Today, mensuel du Socialist Party (section du CIO en Angleterre et au pays de Galles)

Cette catastrophe pourrait aussi remettre la question d’une « ingénierie climatique » sur le tapis, car elle semble offrir une solution technique rapide et bon marché au problème du changement climatique. La crédibilité de l’ingénierie climatique a connu un certain essor à la suite du récent appel fait par le prestigieux Conseil national de recherche des États-Unis à conduire davantage de recherches dans ce domaine.

Cette recommandation sera probablement reprise par le Congrès à majorité républicaine ainsi que par les groupes de pression d’extrême droite qui ont longtemps recommandé l’ingénierie climatique comme une solution au problème de l’élévation mondiale des températures. Ces groupes de pression n’expliquent pas, bien entendu, pourquoi ils pensent que des actions si drastiques sont nécessaires lorsqu’ils nient l’existence même d’un changement climatique provoqué par l’homme ou qu’ils minimisent son importance.

Avant d’examiner les arguments, nous devons définir ce qu’est l’ingénierie climatique – ou la géo-ingénierie comme certains l’appellent –, car il n’y a pas de position commune à ce sujet. Cette discipline comporte deux aspects : l’élimination du gaz principalement responsable du réchauffement climatique, le dioxyde de carbone, de l’atmosphère et la gestion des radiations solaires, qui consiste à refléter certaines radiations du soleil vers l’espace, permettant ainsi de réduire les températures. L’élimination du dioxyde de carbone n’est pas considérée par certains comme entrant dans la catégorie de l’ingénierie climatique, probablement parce qu’elle engendre moins de risques que la gestion des radiations solaires.

Pourtant, la majorité des techniques d’élimination du dioxyde de carbone ne sont pas exemptes de risques. L’un des gros problèmes que cette solution pose, à cause des graves dangers qu’elle représente pour la santé, est le stockage sécurisé du gaz pendant une période de temps indéfinie. Par exemple, lorsqu’accidentellement un lac d’Afrique a libéré du dioxyde de carbone – rejet dû à des causes naturelles – des milliers de personnes sont mortes asphyxiées, prises au piège par un nuage de gaz qui survolait la campagne.

Certaines des propositions qui ont été mises dans la catégorie de l’ingénierie climatique sont sans dangers. C’est le cas de la reforestation, car les arbres jouent un rôle majeur dans l’élimination du dioxyde de carbone. Toutefois, on risque ici de donner l’impression que de telles mesures peuvent résoudre le problème du changement climatique, ce qui réduirait la pression visant à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, il y a bien longtemps que la reforestation à elle seule, bien que nécessaire, n’est plus capable d’apporter une amélioration à l’échelle et à la vitesse nécessaire pour avoir une réelle incidence sur le réchauffement climatique.

La gestion des radiations solaires est bien plus dangereuse que l’élimination du dioxyde de carbone et de nombreuses propositions sont mises sur la table, certaines plus risquées que d’autres. Certaines propositions, comme le « toit froid », consistent à utiliser des matériaux de toiture clairs qui réfléchiraient la chaleur du soleil plutôt que de l’absorber. Une proposition plus risquée encore serait de diffuser des particules de soufre dans l’atmosphère pour imiter les mécanismes d’une éruption volcanique et réduire les températures à l’échelle mondiale. Ce phénomène a été observé pour la première fois après l’éruption du volcan Krakatoa situé dans le sud-est de l’Asie au XIXe siècle ; il s’agit de l’éruption la plus forte jamais enregistrée.

Plus récemment, après l’éruption du Mont Pinatubo dans les Philippines en 1991, des milliers de tonnes de particules de sulfate se sont dispersées dans l’atmosphère et se sont rapidement répandues, réduisant les températures mondiales de quelques dixièmes de degré pendant plusieurs années. Cette diminution est considérable à l’échelle du réchauffement climatique, étant donné que de petits changements peuvent avoir une incidence considérable sur l’environnement. Jusqu’ici, nous avons connu une élévation des températures d’à peine 0,75 degré par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle. Pourtant, il y a de plus en plus d’éléments qui permettent de faire le lien entre cette augmentation et les événements météorologiques extrêmes tels que l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans et le Golfe du Mexique en 2005.

Dans leur article publié dans le journal Geophysical Research Letters, les scientifiques du Centre national de recherche atmosphérique au Colorado, États-Unis, ont étudié les effets de l’éruption du Pinatubo et ont découvert qu’elle avait provoqué une forte diminution des précipitations. Ils en ont conclu que toute tentative d’injecter des particules de sulfate dans la stratosphère pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur les cycles de l’eau de la Terre, causant des sécheresses et des famines. La diffusion de particules de sulfate dans l’atmosphère pourrait également provoquer une diminution de la couche d’ozone qui nous protège contre le cancer de la peau favorisé par les radiations solaires.

Si la gestion des radiations solaires était utilisée pendant une longue période, alors que les émissions de gaz à effet de serre continuaient de croître, et qu’elle était ensuite arrêtée soudainement, cela pourrait provoquer une très rapide élévation des températures, causant encore plus de dommages qu’un changement climatique progressif. Par ailleurs, l’acidification des océans, liée à l’évolution des concentrations de dioxyde de carbone, ne serait absolument pas prise en compte dans le cadre d’une approche de ce type, ce qui pourrait endommager encore davantage la vie sous-marine et l’écologie et détruire les barrières de corail.

Une autre approche proposée concernant la gestion des radiations solaires consiste à construire des miroirs dans l’espace afin de refléter les radiations solaires. Même s’il y a moins de risques que cette proposition soit mise en œuvre compte tenu des coûts qu’elle engendrerait, elle présente les mêmes inconvénients que l’usage de particules aérosol de sulfate, dans la mesure où elle est employée pour masquer une augmentation des émissions de dioxyde de carbone. Si les miroirs venaient à être détruits pour n’importe quelle raison (problème technique, attentat terroriste, manque de ressources financières pour les maintenir en place, etc.) nous pourrions assister à une élévation très rapide et destructrice des températures.

Le risque commun à toutes les techniques de gestion des radiations solaires est qu’elles pourraient coïncider avec une éruption volcanique naturelle qui ne pourrait être prévue par aucun modèle informatique. Le résultat d’un tel évènement serait une combinaison entre le refroidissement provoqué par les techniques d’ingénierie climatique et la chute des températures causée par les cendres volcaniques, ce qui aurait des conséquences catastrophiques.

L’un des attraits principaux de l’ingénierie climatique aux yeux des capitalistes est son coût relativement peu élevé. Le coût que représente la réduction des émissions à un niveau tolérable a été estimé par le rapport Stern, commandé par le dernier gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, à 1% de la production économique par an pendant 40 ans (Nicholas Stern, Report on the Economics of Climate Change, 2006). À l’échelle mondiale, cela représenterait à peu près 400 milliards de dollars par an. Les estimations des coûts de la gestion des radiations solaires représentent une fraction de ce chiffre, quelques centaines de millions de dollars par an. Ce qui est effrayant, c’est que cela en fait un objectif à la portée de certains milliardaires irresponsables et obstinés. Bill Gates et Richard Branson ont déjà financé la recherche dans ce domaine. En Russie le conseiller principal du gouvernement qui ne croit pas au changement climatique a effectué des expériences en diffusant des particules de soufre depuis un hélicoptère.

Aucun organisme scientifique sérieux n’a recommandé l’ingénierie climatique comme une alternative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ceux qui préconisent d’approfondir la recherche dans ce domaine, comme la Royal Society en Grande Bretagne ou le Conseil national de recherche aux États-Unis, voient cette discipline comme un moyen de gagner du temps pendant que des actions sont mises en œuvre pour s’attaquer aux causes fondamentales du réchauffement climatique. Le danger de cette approche, c’est que les gouvernements capitalistes, qui sont déjà très réticents à l’idée de dépenser de grosses sommes d’argent pour atténuer le réchauffement climatique, s’empressent d’embrasser l’ingénierie climatique comme une alternative bon marché. Emprunter cette voie pourrait être aussi dangereux que le réchauffement climatique lui-même. Pour régler les causes fondamentales du problème, il faut passer par la suppression du système de marché capitaliste basé sur les profits. Plus cette tâche est reportée et pires seront les perspectives de l’environnement.

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