Allégeance de Boko Haram à l'Etat Islamique : propagande ou menace réelle ?

bokoharam_EILe groupe islamique fondamentaliste nigérian Boko Haram s’est récemment formellement affilié à l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie. Depuis un certain temps maintenant, le leader de Boko Haram Abubakar Shekaku avait fait des signes d’ouverture au leader de l’Etat Islamique (EI), Abu-Bakr al-Baghadi, dans des messages audio et des vidéos notamment.

Par H.T Soweto, Democratic Socialist Movement (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Nigéria)

L’Etat Islamique est une branche du noyau dur d’Al-Qaïda qui a déjà établi un califat dans des territoires capturés dans certaines partie d’Irak et de Syrie. Comme Boko Haram, l’EI est une secte islamique sunnite qui se dévoue à une interprétation extrémiste du Coran. Ceci signifie une opposition à l’éducation occidentale, l’interdiction de boire, fumer ou encore bannir les élections et les droits démocratiques. ISIS souhaite établir un califat appliquant la Charia et dirigé par un seul chef, le calife. Le groupe est connu pour ses vidéos macabres de décapitations, d’exécutions de masse, de crucifixions, d’asservissement de femmes et le meurtre de quiconque se tient sur le chemin de leur programme sectaire.

Porté par le succès enregistré lors de ses campagnes militaires, des tentatives ont été faites de décrire cette alliance comme rien de plus qu’une propagande pour Boko Haram comme pour l’EI. Par exemple, Simon Tisdall du Guardian (Londres) écrit qu’ « il est peu probable que la nouvelle alliance, unilatéralement proclamée dans le week-end par le leader de Boko Haram Abubakar Shekaku, mène à des opérations conjointes sur le terrain. Cela pourrait en fait plutôt être un appel à l’aide étant donné les récentes défaites subies par Boko Haram ». Mais il est également prompt à reconnaître que les implications vont au-delà de cela. Selon lui, « Pour l’EI, l’offre de Boko Haram d’une alliance idéologique est un boost pour sa propagande qui lui confère une crédibilité internationale. Pour Boko Haram, l’aura de l’EI et les zones non-gouvernées du Sahel fournissent potentiellement de nouvelles connexions vers d’autres conflits dans le monde musulman en termes de recrues, d’armes, de finances, de technique et d’intelligence. Pour les gouvernements occidentaux, ce scénario évoque leur pire cauchemar- la perspective d’un djihad uni et globalisé » (Guardian (Londres) 9/3/15).

Le lien maintenant formellement établi entre l’EI et Boko Haram fait potentiellement du Nigéria la destination préférée pour toutes sortes de djihadistes-en-devenir qui n’auraient pas pu franchir la frontière vers la Syrie ou l’Irak pour rejoindre l’EI. La sophistication que ces djihadistes étrangers peuvent apporter amène sur la table la perspective effrayante que, même si bouté hors des territoires capturés, Boko Haram puisse continuer à être une menace pour les peuples du Nigéria et ses voisins, à travers des attentats suicides, des kidnappings etc. Ceci signifie également que le Nigéria pourrait devenir dans la prochaine période un centre global du djihadisme, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

Dans sa déclaration où il acceptait l’allégeance de Boko Haram, le porte-parole de l’EI Abu Muhammed Al-Adani a appelé les musulmans qui ne peuvent rejoindre l’EI en Irak ou en Syrie à s’engager dans les combats en Afrique en disant que l’engagement de Boko Haram avait ouvert « une nouvelle porte pour émigrer en Terre d’Islam et se battre » (Guardian (Londres), 9/3/15).

Si cela arrivait, cela signifierait certainement qu’une fin à l’insurrection de six ans est loin d’arriver malgré quelques victoires substantielles sur le plan militaire. Cela signifierait même plutôt que Boko Haram en alliance avec d’autres groupes en Libye, en Egypte et en Algérie pourraient développer des attaques contre des intérêts locaux et étrangers à l’intérieur même de l’Afrique. C’est la forme que pourrait prendre une « opération conjointe ». Par exemple, le Punch du 12 mars reporte que « un législateur américain, Stephen Lynch, est actuellement au Nigéria en concertation avec le gouvernement fédéral pour revoir la sécurité de l’ambassade américaine » en raison des récentes explosions à Maiduguri « et le gage d’opérations conjointes avec l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie ». Ce n’est pas une réaction de panique. Même en soi-même, Boko Haram a démontré qu’il avait une force de frappe et une capacité largement plus grande que simplement les attaques envers l’état nigérian. Le vendredi 26 août 2011, le groupe revendiquait l’explosion d’une voiture au bâtiment des Nations Unies dans la capitale nigériane Abuja, qui a fait 21 morts et 60 blessés.

L’entrainement que l’EI peut fournir à Boko Haram est également significatif. Selon la BBC (13/3/15), même l’ancien Président Goodluck Jonathan a déclaré dans Voice of America (VOA) que « les militants de Boko Haram voyagent jusqu’aux camps de l’EI pour s’entrainer ». Des experts ont également pointé le professionnalisme de certains enregistrements vidéos de Boko Haram, mettant en évidence le fait qu’ils aurait pu recevoir de l’aide de l’EI, qui est largement connu pour ses vidéos de propagandes professionnelles ainsi qu’une forte présence sur les réseaux sociaux.

La résistance de Boko Haram et sa capacité à rebondir sont aussi significatives. Dans une certaine mesure, Boko Haram partage certaines méthodes et des aires géographiques avec le mouvement Maitasine qui a culminé dans la première moitié des années ’80 dans des combats qui ont coûté la vie à près de 4000 personnes. Plus tard, en 2009, Boko Haram, qui attira ensuite des masses de gens pauvres et de jeunes désillusionnées dans l’état de Borno par son enseignement de la Charia et sa critique des excès des élites corrompus, s’est fait connaitre du grand public par une sanglante répression par l’état où furent massacrés beaucoup des membres de Boko Haram dont son fondateur Mohammed Yusuf, de façon totalement extra-judiciaire. Déjà là, ils furent capables de se reformer en peu de temps pour commencer des représailles sanglantes, qui continuent encore aujourd’hui et qui l’ont amené à contrôler actuellement une partie du Nigéria de quasiment la taille de la Belgique.

Les forces de combat de Boko Haram sont estimées entre 6000 et 9000. Un analyste de la finance et de la sécurité anglais a estimé que les revenus annuels de Boko Haram tournaient autour de 10 millions de dollars US pour des demandes de rançon, des braquages de banques et des razzias de village (BBC News 26 janvier 2015). Alors que ces ressources ont pu être réduites à cause du recul de certains territoires occupés, il souligne cependant le potentiel de Boko Haram à rebondir, même même s’ils se trouvent enlisés l’offensive militaire en cours.

C’est pourquoi il n’y a aucun optimisme à avoir malgré les quelques récentes victoires des assauts militaires. Par exemple, Boko Haram, peut-être par désespoir, apparaît aujourd’hui avoir changé de tactique. Il semble qu’ils se soient renouvelés dans les attentats suicides dans les parcs d’autobus, les marchés les lieux publics etc. contrôlés par l’armée, ce qui est un rappel inquiétant que malgré que les assauts militaires poussent Boko Haram sous terre, ceux-ci gardent la capacité de frapper n’importe où, n’importe quand. Alors que la fin des élections approche, il est incertain que le vote puisse prendre place dans le Nord-Est sans une menace d’attentats suicides à Maiduguri et d’autres villes dans les états de Borno, Yobe et Adamawa.

La forte résistante à l’EI dans les zones kurdes d’Irak et de Syrie est un exemple de comment une population mobilisée peut vaincre Boko Haram, bien qu’en Irak et en Syrie il y ait un danger omniprésent de tomber dans une guerre religieuse ou ethnique. D’où l’appel constant du Democratic Socialist Movement (DSM) de construire des comités de défense armée multi-ethniques et multi-religieux indépendants de l’état mais sous le contrôle démocratique des communautés et du mouvement ouvrier pour protéger les communautés des attaques de Boko Haram. Mais l’insurrection de Boko Haram n’est qu’un produit de la non-résolution de la question nationale au Nigéria, qui n’est rendu possible que par une situation, induite par le capitalisme, avec une extrême pauvreté et un chômage massif à côté de richesses abondantes. À son paroxysme, une telle situation mène inéluctablement à des crises de violence et des extrémismes.

Personne d’autre que l’ex-Président du Nigéria, Olusegun Obasanjo, a admis récemment que « Boko Haram a des griefs légitimes » (IBTimes UK, 16/3/2015). Selon lui « alors que 79% des Nigérians reçoivent une éducation dans le Sud-Ouest du pays et 77% dans le Sud-Est, dans les fiefs de Boko Haram dans le Nord-Est les taux ne se situent qu’à 19% ». Ces chiffres interpellants seuls montrent pourquoi un groupe terroriste peut émerger dans le Nord-Est contre l’éducation occidentale. Dans beaucoup de zones du Nord, l’éducation occidentale est vue comme un privilège de quelques riches suite au niveau rudimentaire des infrastructures d’éducation dans la région. Ceci arrive malgré que des membres de l’oligarchie corrompue du Nord aient gouverné le Nigéria, soit à la tête de l’armée soit dans le gouvernement civil, pendant plus de la moitié de l’histoire du pays depuis son indépendance. Plutôt que d’utiliser les ressources du pays pour développer l’éducation publique, les élites n’ont jusqu’à présent que largement utilisé ces fonds pour s’enrichir elles-mêmes, formant le lit pour un discours, comme celui de Boko Haram, qui lie « éducation occidentale » avec la corruption et présence cette éducation comme « anti-islamique ».

Ce qui est responsable de cet état déplorable des choses est le capitalisme, qui a vu le Nigéria s’enrichir de quelques milliardaires alors que l’écrasante majorité des 170 millions d’habitants vit avec moins de 2$/jour. Même dans le Sud-Ouest aujourd’hui, l’Université est réservée aux riches, suite à l’augmentation des frais d’inscription. Aussi longtemps que subsisteront ces injustices socio-économiques, Boko Haram et d’autres formes d’extrémisme persisteront. C’est parce que beaucoup de gens, y compris de nombreux jeunes, continueront de se sentir marginalisés et aliénés par une société qui ne sert d’aux riches. En l’absence d’un mouvement de travailleurs qui met en avant énergiquement une alternative au capitalisme, ces éléments de la société seront prédisposés à tomber sous l’influence d’idées sectaires, qui tentent de substituer des idées réactionnaires, religieuses et ethniques à une compréhension de classe de comment la société est menée à l’oppression et à l’injustice par le capitalisme.

Confier la sécurité des gens à un gouvernement corrompu qui est largement responsable de la situation n’est pas une solution. Il est nécessaire de répondre aux causes de ces mouvements comme à leurs conséquences.

Il est donc essentiel de construire ces comités de défense armée dans chaque communauté pour combattre Boko Haram et chaque groupe extrémiste. Le mouvement des travailleurs a la tâche urgente de construire un mouvement de masse qui unit les ouvriers et les pauvres contre les idées sectaires autour d’un programme de lutte pour un salaire minimum, contre l’austérité qui se profile, contre les idées sectaires et pour l’amélioration des conditions de vie, des emplois et des services publics de santé et d’éducation. Un tel mouvement doit également mener le combat pour prolonger ces mesures par la construction d’une alternative politique de masse pour mettre fin au système injuste du capitalisme et instaurer un système démocratique et socialiste. Seul un gouvernement socialiste, formé et soutenu par la classe ouvrière elle-même est capable d’allouer judicieusement les vastes ressources du Nigéria pour prendre soin de tous, au Sud, à l’Ouest, à l’Est et au Nord du Nigéria, contrairement à la situation actuelle où à peine quelques personnes possèdent plus que 80% des Nigérians.

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