Le gouvernement grec dirigé par SYRIZA parviendra-t-il à instaurer une alternative aux politiques d’austérité européennes? Avec quelle stratégie cela serait-il possible? Ces questions ne sont pas cruciales que pour la population grecque affligée par la crise, le chômage et la pauvreté, elles le sont aussi pour tous ceux qui s’opposent à la logique d’austérité en Europe. Une victoire en Grèce démontrera à toute l’Europe qu’une alternative est possible pour autant que l’on ose la défendre. Mais une défaite servira à étouffer toute opposition anti-austéritaire en argumentant que, même en Grèce, ça n’a pas marché. SYRIZA ne dispose pas de beaucoup de temps. L’élite dirigeante européenne, confrontée à l’évolution politique inquiétante de l’Espagne, de l’Irlande,… ne laissera aucun espace à SYRIZA pour développer sa politique.
Dossier de Bart Vandersteene, tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste
Quand l’UE capitaliste montre les dents
Le 20 février, SYRIZA a obtenu une poursuite du programme d’aide, mais à un prix très lourd. Les négociations ont débuté alors que les banques grecques allaient se trouver sans liquidités quelques jours plus tard et que le gouvernement faisait face à un scénario similaire. Chaque jour, des centaines de millions d’euros quittaient les comptes bancaires grecs. Il reste bien peu du principe de négociation lorsque votre adversaire vous menace de sabotage économique et qu’il a réellement les moyens de le faire. Sous cette énorme pression, le gouvernement grec a promis de rembourser toutes les dettes (en contradiction avec le programme électoral de SYRIZA) et de soumettre ses mesures politiques à l’approbation des ‘‘institutions’’ (nouveau nom de la troïka: FMI, BCE et Commission européenne). Le gouvernement prétend avoir gagné du temps, mais il est pieds et poings liés à la troïka. Cet accord contient tous les ingrédients pour conduire à un nouveau conflit gigantesque le 20 avril, lorsque le gouvernement devra présenter sa politique aux ‘‘institutions’’. Si ces dernières acquiescent, la Grèce obtiendra une nouvelle somme de 7,2 milliards d’euros, non pas pour mettre en œuvre des politiques sociales mais pour refinancer sa dette. Dans le cas contraire, la Grèce sera au bord du précipice.
Malgré les déclarations du Premier ministre Tsipras et du ministre des Finances Varoufakis pour qui le gouvernement grec a gagné une bataille mais pas encore la guerre, la réalité est plus nuancée et décevante. Costas Lapavitsas, député de SYRIZA et membre de l’aile gauche de son groupe parlementaire, a ainsi fait part d’une autre version : ‘‘Les Grecs sont allés négocier avec de grands espoirs et ils sont tombés dans le piège que ces institutions avaient tendu pour eux. Et ce piège se caractérise essentiellement par: (a) une pénurie de liquidité et (b) une pénurie de financement pour le gouvernement. C’est ainsi que les institutions ont formalisé leur avantage structurel par rapport aux Grecs. Les Grecs n’avaient pas prévu d’alternative. SYRIZA n’a pas pu gérer cela, parce qu’ils avaient accepté les limites de l’euro. Tant que vous acceptez les limites de l’euro, vous n’avez pas de véritable réponse. C’est la raison pour laquelle cela a finalement pris la forme que ça a pris.’’
Lapavitsas n’est pas seul à émettre des critiques. Lors de la réunion du Comité central du SYRIZA du 28 février au 1er mars 2015, 41% des délégués ont voté pour une résolution rédigée par la plate-forme de gauche, celle-là même qui avait remporté 1/3 des sièges de cet organe de direction au dernier Congrès de la formation. Cette résolution affirme notamment : ‘‘Nous exprimons notre désaccord avec l’accord conclu et la liste des réformes convenues avec l’euro-groupe. Les deux textes représentent un compromis inacceptable pour notre pays. Cet accord représente une orientation qui est en contradiction avec les engagements programmatiques de SYRIZA sur des points essentiels.
‘‘SYRIZA doit, dans l’immédiat et malgré l’accord conclu avec l’Euro-groupe, prendre l’initiative et systématiquement mettre la priorité sur la mise en œuvre de ses engagements et de l’accord gouvernemental. Afin de prendre cette voie, nous devons compter sur la lutte et la lutte de classe populaire:, nous devons contribuer à leur renaissance. Nous devons élargir le soutien populaire qui nous permettra de nous opposer à toute forme de chantage et mettre en avant la perspective d’un plan alternatif capable de réaliser nos objectifs radicaux.
‘‘La conclusion principale des développements récents est la nécessité que les décisions importantes ne soient prises qu’après un débat au sein des instances dirigeantes du parti. Cela est essentiel pour notre évolution future. L’ensemble du parti et de ses sections doivent jouer un rôle plus important dans la nouvelle direction du pays.’’
Le gouvernement et le peuple grec sont détenus par l’UE, la BCE et le FMI. Tout acte du gouvernement grec semble être prisonnier de leur volonté. Le gouvernement SYRIZA dispose-t-il d’une stratégie gagnante au côté des négociations ‘‘intelligentes’’? Un ‘‘plan B’’ existe-t-il?
Le ministre grec des Finances Varoufakis est devenu le visage le plus familier du gouvernement grec après Tspiras, mais il n’est pas membre de SYRIZA et semble prêt à mettre beaucoup d’eau dans son vin. À la mi-mars, il a essayé de susciter la bienveillance des autres négociateurs en disant dans une interview : ‘‘Nous voulons rembourser notre dette, mais nous demandons à nos partenaires de nous aider à restaurer la croissance grecque. Au plus vite notre économie se stabilisera, au plus vite nous pourrons rembourser.’’ Comme cela est généralement admis, la faiblesse invite à l’agression. Et là, l’agression est énorme. Le ministre des Finances allemand Schäuble a déclaré à plusieurs reprises que ‘‘la patience s’épuise’’. De façon systématique plane la menace d’un Grexit (une sortie de la Grèce de la zone euro), même si le gouvernement grec a promis de rembourser les dettes du casino bancaire et de la clique politique néolibérale corrompue.
Le journal allemand Süddeutsche Zeitung estime devoir s’attendre à un ‘‘Grexit’’ pour des raisons politiques plutôt que pour des raisons économiques. ‘‘Jamais jusqu’ici l’Euro-groupe n’a été aussi uni que face au nouveau gouvernement grec, qui semble de son côté ne pas comprendre son isolement. Le Grexit n’est plus une question de stratégie économique -le risque de contamination est faible, de même que les dommages collatéraux à gérer. L’avenir de la Grèce sera donc décidé au niveau politique, et l’équation est simple: Athènes ne devrait plus attendre de l’aide que pour autant que le prix politique à payer par les autres pays de l’eurozone ne soit pas trop élevé.’’
La seule option dont dispose le gouvernement SYRIZA est de s’appuyer sur le mandat sans équivoque reçu par la population grecque.
La démocratie à l’européenne, quand les résultats électoraux importent peu
SYRIZA a un mandat pour appliquer son programme dont ne peuvent que rêver tous les gouvernements européens. 80% des Grecs estiment positif le bilan des premières semaines du nouveau gouvernement! Même chez ceux qui ne prétendent absolument pas être de gauche, on trouve un certain respect pour un gouvernement qui refuse les privilèges personnels et qui ose s’opposer aux diktats de l’Union européenne.
Mais une fois élu, en Europe, un gouvernement ne peut pas déterminer sa politique, quand bien même a-t-il le soutien de 80% de sa population. Les règles de l’UE prévoient que les grandes orientations politiques soient établies à l’avance, quel que soit le résultat des élections.
L’objectif de l’establishment européen n’est rien de moins que la soumission totale du gouvernement grec aux exigences de la BCE et la Commission européenne. Pour cela, deux options existent: soit SYRIZA -ou une partie importante de la formation de gauche radicale- se met à genoux, a le souffle coupé et se voit forcé d’avaler les diktats néolibéraux de l’UE, soit, en cas d’échec, le plan B, qui repose sur la destruction de SYRIZA, en poussant la Grèce hors de la zone euro et en l’isolant économiquement. Ce dernier scénario implique de fameux risques, il ne sera utilisé que si le gouvernement SYRIZA continue de défendre de façon cohérente les intérêts des travailleurs grecs, des chômeurs, des jeunes et des pensionnés.
Même les plus petites mesures peuvent être refusées par l’UE. Le 17 mars, la Commission européenne a envoyé une lettre au gouvernement grec par rapport à une loi qui allait être votée le lendemain et qui était destinée à accorder aux familles les plus pauvres le droit à de l’électricité gratuite et à des bons d’alimentation. Selon la Commission, le vote de cette nouvelle loi, sans leur approbation, entrait en contradiction avec l’accord conclu le 20 février. Le vote a bien eu lieu et la loi est maintenant adoptée, mais cela servira de prétexte pour accuser le gouvernement SYRIZA de ne pas avoir respecté l’accord. L’establishment européen a beau se présenter comme modéré, il recherche la confrontation dure avec le gouvernement SYRIZA.
Les défaites de février et mars ne sont toutefois pas nécessairement fatales. Mais pour parvenir à vaincre, SYRIZA devra revoir sa stratégie erronée et adopter une position plus dure. Les sondages montrent que la population grecque est prête. Mais l’attitude molle de SYRIZA ne tombe pas du ciel. Elle est due à l’illusion, en plein essor dans la gauche européenne, qu’un changement de politique peut tout simplement survenir en cas de victoire électorale. Le dur combat nécessaire pour atteindre ce changement est par conséquent sous-estimé. L’actuel projet européen est une structure néolibérale visant à diminuer les salaires et à démanteler les services publics ainsi que la sécurité sociale afin d’accroître les bénéfices des grandes entreprises et des banques. Réformer cette structure semble être impossible en pratique. C’est ce que démontre l’exemple grec. Mais puisqu’une grande partie de la population commence à constater que la réforme est impossible, la voie est dès lors ouverte pour des solutions révolutionnaires.
Un changement de stratégie est nécessaire
La direction de SYRIZA a pensé pouvoir arracher des concessions aux institutions européennes. Elle pensait que la BCE hésiterait face à la perspective d’un effondrement du secteur financier grec, par crainte de contamination à l’ensemble du secteur bancaire européen. La direction de SYRIZA estimait que les institutions européennes ne risqueraient pas les choses jusqu’à la sortie de la Grèce hors de la zone euro en raison des dommages que cela causerait au projet néolibéral européen.
Ces hypothèses se sont révélées fausses. La menace de l’arrivée de nouveaux gouvernements de gauche était beaucoup plus dangereuse aux yeux de la classe capitaliste européenne. Il ne fait aucun doute que si cela est nécessaire, les classes dirigeantes sont prêtes à détruire un système bancaire national et tout un pays de la zone euro si cela peut servir de douche froide à tout désir de gouvernement de gauche anti-austéritaire.
Aujourd’hui, une grande majorité des Grecs veut rester au sein de la zone euro et la direction de SYRIZA a constamment défendu de rester à tout prix en son sein. D’autre part, la plate-forme de gauche au sein de SYRIZA et d’autres groupes de gauche comme Antarsya et la SEF entretiennent l’illusion selon laquelle quitter volontairement la zone euro serait suffisant pour en finir avec l’austérité. Ce n’est malheureusement pas le cas. Un Grexit sur base capitaliste ne peut conduire qu’à un appauvrissement massif de la population grecque. Aujourd’hui, 36% des Grecs veulent que le gouvernement adopte une position plus dure dans les négociations, quitte à ce que cela signifie de sortir de la zone euro. L’opinion publique s’attend à juste titre à ce que la lutte soit d’abord menée au sein de l’Union Européenne, mais elle veut surtout que le gouvernement soit cohérent et applique son programme. Si l’on demande explicitement à la population de choisir entre rester dans la zone euro ou appliquer une politique sociale, la probabilité est grande que la seconde option soit largement désignée, à condition toutefois que cette perspective soit crédible et que le sentiment dominant ne soit pas que la sortie de l’euro conduirait inévitablement à un plus grand déclin économique et à l’isolement.
Une stratégie anticapitaliste
Les événements survenus depuis la fin des élections de janvier ont montré comment un gouvernement peut acquérir un soutien populaire. Dans les sondages et dans les rues, une bonne partie de la population a montré qu’elle approuvait la défense des promesses électorales de SYRIZA. Les développements récents ont aussi illustré qu’une rupture avec les politiques néolibérales ne peut pas être appliquée par le haut, elle doit impérativement reposer sur une lutte de la base de la société.
Un gouvernement de gauche peut consciemment prôner la nécessité d’une telle organisation par la base et aider à la structurer. Des assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers peuvent permettre la création de comités démocratiquement élus capables d’organiser et de coordonner les luttes sociales. Sur cette base, une structure parallèle à l’ancienne structure hiérarchique d’Etat peut être développée et prendre le relais de l’organisation de la société.
Le gouvernement doit immédiatement adopter ses mesures contre la ‘‘crise humanitaire’’, stopper toutes les privatisations et revenir sur celles qui ont eu lieu. La promesse de réinstaurer les conventions collectives de travail doit être maintenue, de même que celle d’augmenter immédiatement le salaire minimum à 670 euros nets (basé sur 751 € bruts) ou celle d’interdire les saisies immobilières des nombreuses familles de travailleurs qui risquent de perdre leur maison. Ces mesures de base reçoivent un soutien extrêmement enthousiaste de la population.
Cette politique sera rejetée par l’establishment européen. À l’aide d’un référendum, le gouvernement pourrait demander à la population son avis sur l’application de ces mesures. Une victoire lors d’un tel référendum permettrait d’assurer une base solide pour une politique sociale et une riposte contre les attaques lancées par les super-riches, comme la fuite des capitaux, le retrait des investissements, le sabotage économique,…
Simultanément, SYRIZA doit expliquer qui est véritablement responsable de la dette afin d’être en mesure de faire valoir pourquoi il faut refuser de la rembourser. Si à cause de cela l’UE menace de pousser la Grèce hors de la zone euro, SYRIZA aurait à sa disposition tous les arguments disponibles pour adopter des politiques socialistes, comme la collectivisation du secteur financier et des secteurs clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Ces mesures seront nécessaires pour financer un vaste programme d’investissements publics. L’économie pourrait ainsi être démocratiquement planifiée et disposer d’une croissance économique sociale et écologique. Les chômeurs pourraient trouver de bons emplois socialement utiles, la production serait orientée vers la satisfaction des besoins de la population et vers la construction d’un avenir de prospérité et d’équité.
Tsipras ne choisit pas cette voie aujourd’hui. C’est pourquoi il faut accroître la pression en cette direction, sur base du mouvement des travailleurs et des mouvements sociaux. Notre organisation-soeur grecque, Xekinima, accorde un soutien critique au gouvernement tant qu’il ne prend pas de mesures allant à l’encontre de la majorité de la population. Mais elle est bien consciente qu’une tâche cruciale et historique repose sur les épaules des marxistes grecs. Ils doivent organiser un mouvement de masse capable d’instaurer une pression sur le gouvernement et également, à l’aide de réunions et de discussions, populariser la nécessité d’une alternative anticapitaliste socialiste parmi les couches larges de la population.
Défendre cette alternative socialiste nécessite de lancer un appel aux travailleurs et aux jeunes des autres pays européens afin d’opérer le même type de rupture avec la politique de l’Union Européenne capitaliste et de ses structures. Concrètement construire les structures de la coopération internationale posera les bases d’une future fédération socialiste volontaire européenne.
Même si les développements les plus récents représentent un pas en arrière, la situation globale n’est pas encore changée. L’élection d’un gouvernement de gauche est une étape historique. Elle ouvre la porte à de nouveaux développements à la fois en Grèce et dans le reste de l’Europe. D’énormes et précieux enseignements peuvent être tirés pour la construction de l’alternative socialiste au capitalisme dont nous avons tant besoin.