Socialisme 2015 : Discours de Thierry Müller (réseau Stop Art.63&2)

thierry_soc2015Le samedi 28 mars dernier se déroulait la journée « Socialisme 2015 », à la Pianio Fabriek, à Bruxelles. L’événement, organisé par le PSL, a notamment accueilli un représentant du réseau Stop Art. 63&2 pour son meeting de clôture autour du slogan « Michel dégage ». Nous reproduisons ci-dessous l’intégralité de la prise de parole de Thierry Müller.

« Bonsoir. Un tout grand merci de me donner l’occasion de prendre la parole, en tant que militant du réseau Stop Article 63§2, dont le PSL a signé l’Appel, tout comme Ega d’ailleurs, et tout comme 104 autres organisations. Merci, camarades, d’être ainsi à nos côtés.

Cela faisait des mois qu’ils l’avaient annoncé, 3 ans très exactement, et ils l’ont fait. Froidement. Cyniquement. Crapuleusement. Depuis le 1er janvier 2015, plus de 20 000 personnes… DEJA… ont perdu leurs allocations de chômage. Moins de la moitié devrait échouer aux portes des Cpas où ils rafleront un RIS sous le seuil de pauvreté, des CPAS souvent exsangues et englués dans les mêmes travers du contrôle social, de l’activation, de la contractualisation du droit.

Le PS nous l’avait vendue, cette mesure, comme la concession nécessairement faite aux libéraux, après 500 j de négociation pour la constitution d’un gouvernement, une quasi crise de régime déclarait et déclare encore Elio Di Rupo… Une concession visant à nous préserver de la NVA. Aujourd’hui, Elio, on a l’Article 63§2 et articles connexes, et puis son cortège de misère qui fait saigner ton coeur, mais en prime, Elio, on a la NVA, ce qui a conduit à aggraver encore la mesure : plus d’allocation d’insertion avant 21 ans pour ceux qui n’ont pas un diplôme d’études secondaires supérieures ou d’études en alternance, ce qui crée ce précédent qu’un droit lié à la sécurité sociale est désormais conditionné à l’obtention d’un diplôme qui n’est pas le moindre. Et obligation de demander l’accès aux allocations d’insertion avant 25 ans , ce qui de facto va en exclure une bien grosse part des universitaires.

Mais de quoi s’agit-il en somme, à quoi riment au fond toutes ces mesures dont l’Article 63§2 ? Fallait-il nécessairement que des sacrifices soient ainsi faits pour sauver le pays, notre pays, sur-endetté ? Tout le monde, nous a-t-on répété devra, doit, faire des efforts, se serrer la ceinture.

Alors ces exclus de l’Article 63§2 ont- ils été offerts en sacrifice pour renflouer les dettes NATIONALES ? Le gain engrangé sera tout au plus de 50 à 100 millions d’euros ! Et là on vient de nous annoncer qu’il va falloir trouver 2 milliards d’économies… supplémentaires !

Exclus alors pour relancer l’économie ? Leur retirer des allocations, c’est globalement réduire le pouvoir d’achat de la population, c’est contracter une économie déjà en surproduction, c’est, l’exemple Grec le démontre, aggraver mois après mois la situation, c’est comme le montre chaque exercice d’ajustement budgétaire, répéter le sempiternel discours que l’on vient d’entendre cette semaine encore : il nous faudra trouver plus, toujours plus…Et donc encore plus… d’austérités.

Ce pays avait-il besoin pour s’en sortir de créer cette misère ? Le 17e pays le plus riche au monde, le 10e le plus riche d’Europe, devant l’Allemagne, la France et l’Italie ! En 2011, quand fut décidée cette mesure, Eurostat déclarait que la Belgique était le pays où le patrimoine financier moyen par ménage était le plus élevé d’Europe. A la même époque, la RTBF titrait sur son site web : « En dix ans, le Belge aurait augmenté son patrimoine financier de 18% ». Elle précisait que «Le Belge dispose en moyenne de 167.600 euros»… moi, pas ! Mais je ne suis qu’un foutu féniasse de chômeur de longue durée ! A côté de cela, en réalité, 15% de la population de notre pays vit en dessous du seuil de pauvreté, comme moi. Fallait-il vraiment renforcer de tels écarts pour sauver les avoirs d’une classe moyenne aux abois ? Qu’y gagne-t-elle ?

Rien. En réalité, il ne s’agissait pas de sacrifices légitimes, rationnels. La vérité, c’est que ces exclus étaient estimés coupables de quelque chose de répréhensible, de très condamnable même si l’on mesure les effets conséquents de ces exclusions sur leur existence et sur celle de leur famille ?

Coupable, nous a déclaré Kris Peeters, de pas avoir cotisé suffisamment, ne pas avoir accumulé dans un temps donné suffisamment de temps d’emploi. Il s’agissait pour eux, il s’agit pour eux, car des exclus il y en aura dorénavant tous les mois, de travailler, par exemple s’ils ont moins de 36 ans… 12 mois ETP dans un délai de 21 mois. Tiens ! Tiens ! Juste au-dessus d’un mi-temps ; 10 ans, 20 ans à mi-temps vous replongeront systématiquement en cas de licenciement dans des allocations d’insertion, vous remettront en risque de vous faire couper la tête ! Voilà pourquoi 66% des exclus sont des femmes d’ailleurs.

Trouver en trois ans… de quoi cumuler 12 mois de travail ETP dans une période de 21 mois, alors que, dans ce pays, chaque mois, sont mis en concurrence, pour 30 à 50 mille jobs à pourvoir…combien de personnes à votre avis ? Combien sont totalement ou partiellement sans emploi, et tenues par la carotte ou le bâton de se sortir de là ? Plus de 900 000, toutes catégories confondues. Cela fait une moyenne nationale de 1 emploi pour 30 personnes susceptibles de vouloir occuper le poste ! En réalité, à chaque job, et même aujourd’hui à chaque formation, pour lesquels vous postulez, vous vous retrouverez en pratique mis en concurrence avec 50, 100 ou parfois 150 candidats ! Qui en tire les choux gras ? Ceux qui sur le marché de l’emploi ne viennent pas se vendre eux mais faire leurs emplettes !

Mais il y a plus absurde : la plupart de ces jobs « offerts », -ben oui, c’est sûr!-, ne permettent jamais de quitter le régime des allocations d’insertion. La plupart sont des jobs à temps partiels, ou à durée extrêmement courtes, des intérims, pire : des pseudos emplois comme indépendants ou franchisés, qui ne sont aucunement comptabilisables pour ouvrir votre droit à des allocations sur base d’un travail !

Le réseau Stop Article 63§2 s’est constitué pour dénoncer les dérives et les délires justificatoires extrêmes que renferme cette mesure, mais elle n’est juste qu’emblématique de toutes les autres que nous n’oublions pas.

Comme bien sûr, et nous le dénonçons avec force, le renforcement draconien et généralisé des contrôles de la disponibilité « active », qui a fait exploser les exclusions ou sanctions pour insuffisance de recherche d’emploi : 62 000 en 2014 ! Et cela va se durcir encore, et bien, selon nos informations ! La chasse est sans pitié contre ceux qui ne cherchent pas assez, comme si partir à la cueillette aux champignons allaient les faire pousser, comme si chercher de l’emploi allait le faire exister ! Tout cela s’ajoutant à toutes les autres mesures prises ces dernières années : généralisation de la dégressivité des allocations sur base d’un travail qui finit par conduire tout chômeur de longue durée sous le seuil de pauvreté, obligation d’accepter un boulot à moins de 60km de votre domicile quelque soit le temps nécessaire pour y arriver, obligation d’accepter n’importe quel job que vous êtes intellectuellement ou physiquement capable d’assumer quelle que soit votre formation si dans les 5 mois après la fin de vos études, vous n’avez pas trouvé dans votre secteur.

7 ans de menuiserie, vous ne trouvez pas comme menuisier ? Vous ferez bien facteur, barman, call center ou livreur de pizzas ! Y a pas de sots métiers Et si vous avez philo, romane, psycho, entre 5 et 7 ans d’études universitaires, massivement financés avec l’argent de la collectivité ? Pareil : si, dans les 5 mois, vous n’avez pas trouvé comme philosophe, prof de français ou psychologue, vous ferez caissier, ré-assortisseur de rayons ou vous reprendrez une formation comme conducteur de clark, histoire d’enrichir votre profil de compétences ! Une bonne manière de valoriser l’investissement collectif, public, dans la formation des jeunes, non ? !

Alors que faire ? Sur la question de l’Article 63§2, dont nous faisons une obsession parce que nous ne voulons pas lâcher l’affaire, parce que nous continuons de penser que c’est gagnable, parce que nous continuons de penser que nos luttes ont besoin de victoire et d’arrêter l’infernale spirale des défaites, cette spirale qui entretient l’impuissance, nous avons deux pistes à court terme sur lesquelles nous voulons vous proposer de vous mobiliser avec nous !

La première est pour tout bientôt. Pour des raisons que nous ne discuterons pas ici, das le courant du mois qui vient, Ecolo et… le PS, si!si !, il faut bien juguler la veine qui suinte, vont déposer chacun,- -c’est inattendu et prequ’inespéré pour nous, comme quoi la lutte paie !-, une proposition de loi visant à abroger l’Article 63§2 et suivants. La pression doit donc être maximale dans les jours qui viennent. La clé sera dans les mains des 18 députés Cd&V. Nous allons faire des propositions dans lesquelles vous pourrez entrer pour aider à faire monter cette pression, à commencer par être présent et présente ce jour-là devant le Parlement. Malheureusement nous ne savons pas encore la date. Nous ne la connaîtrons que deux semaines à l’avance. Sous cette législature, il n’y aura pas d’autres opportunités pour qu’un vote ait lieu sur cette question. Alors SVP, venez !

La seconde piste : convaincre les organisations syndicales, et surtout leurs dirigeants, que ces questions de régression des droits au chômage méritent une 5e balise. Les attaques contre les droits au chômage ne sont pas des attaques contre les chômeurs, catégorie sociale singulière, qu’il s’agirait d’entendre et de défendre comme les pensionnés par exemple, les jeunes ou les immigrés. Les attaques contre les droits au chômage affectent directement ici et maintenant tout salarié, sans ou avec emploi… Le gars qui tous les jours va travailler, avec dans sa voiture une radio qui lui assène les discours méprisants et stigmatisants sur les chômeurs, lui rabachent les commentaires les plus crapuleux sur ces « sans emploi » qui en profitent, qui entend les mesures que subissent ceux qui en sont et la mise en misère dans laquelle cela les place, eux et leur famille … ce gars-là arrive façonné au boulot, formaté, à accepter ce qui lui sera demandé sans l’ouvrir, à laisser toute exigence au vestiaire voir même au parking, de l’entreprise !

Il en accepte, nous en acceptons… la déglingue de nos conditions de travail avec toute la souffrance physique et psychique que cela entraîne jusqu’à l’insupportable, qui nous ferait, qui nous fait parfois, haïr ceux qui au chômage y échappent, pourtant nos frères de classe ! Accepter aussi au nom de plus de facilités d’embauche pour les patrons, donc espérons-nous, d’une réduction de la pression que nous subissons tous sur le marché du travail, accepter donc une lente mais sûre déconstruction du fleuron de nos conquêtes politiques qu’est la sécurité sociale ! Réduction des cotisations depuis trente ans, réductions en parallèle des prestations, menace permanente, -chantage en réalité-, sur nos pensions et le remboursement de nos soins de santé… Et à côté…

A côté quoi ? A côté, durant ces trente calamiteuses, la répartition de la richesse produite par notre travail, que mesure économiquement le Produit Intérieur Brut, a vu la part qui revient au capital, parasitaire, grimper de 10% et celle… qui nous revient à nous, les seuls réels producteurs de cette richesse, chuter d’autant ! En trente ans, camarades, ils en sont arrivés à nous piquer dorénavant 40 milliards de plus que ce qu’ils nous piquaient déjà ! Cela représente un vol mensuel SUPPLEMENTAIRE réalisé sur chaque habitant de ce pays de 300 euros. 300 euros par personne et par mois !

La capture capitaliste aujourd’hui sur la richesse que nous produisons en commun, en dehors ou dans l’emploi, est de 150 milliards chaque année ! 12 milliards par mois… plus de 1000 euros par habitant, volés au profit en bout ce course d’une poignée de spéculateurs ou de fonds d’investissement sur lesquels nous n’avons aucun contrôle !
Se battre aujourd’hui pour le renforcement de la sécurité sociale, et particulièrement pour des droits au chômage maximum, c’est se battre pour créer les conditions légales et institutionnelles permettant que l’ensemble des salariés reconquièrent pas à pas ce dont chaque mois, chaque jour, chaque heure les capitalistes les spolient.
Se battre aujourd’hui pour les droits au chômage, ce n’est pas faire oeuvre de solidarité envers les chômeurs attaqués, ce n’est pas non plus sauvegarder des droits dont on pourrait un jour avoir besoin… En réalité, c’est créer, maintenir ou retrouver les conditions même d’un rapport de force nécessaire à la lutte de classe. Il en va de notre survie, de notre dignité et de celles de nos enfants. »

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