Afrique du Sud : La fédération syndicale Cosatu se scinde en deux

vavi_afriquedusudL’expulsion de Vavi ouvre un nouveau chapitre dans la lutte des classes

Vingt ans de collaboration de classes dans le cadre de l’Alliance tripartite (qui réunit le parti ANC, le parti « communiste » SACP et la fédération syndicale Cosatu, Congrès des syndicats sud-africains) ont finalement mené à une scission irréversible au sein de la fédération syndicale Cosatu. Le 30 mars, le comité exécutif central (CEC) du Cosatu a exclu son secrétaire général Zwelinzima Vavi, un fervent critique de la politique antisociale menée par le gouvernement ANC (Congrès national africain, le parti de feu Nelson Mandela) tout au long des seize années qu’il a passées à la tête de la fédération. De plus, le CEC du Cosatu a décrété que l’expulsion du Numsa (Syndicat des travailleurs du métal d’Afrique du Sud) serait désormais permanente. Le Cosatu a admis en son sein le Syndicat libéré des travailleurs du métal d’Afrique du Sud (Limusa), un syndicat « jaune » (« amagundwane », c’est-à-dire « les rats» en langue zouloue) dirigé par l’ancien président du Numsa, Cedric Gina.

Par des correspondants du Workers and Socialist Party (Wasp, CIO-Afrique du Sud)

Cette scission survenant au sein du Cosatu est la conclusion logique de ces vingt dernières années. Le journal du WASP, Izwi La Basebenzi (« La Voix des travailleurs »), a toujours souligné le fait que l’Alliance tripartite reposait sur des classe sociales dont les intérêts sont diamétralement opposés ; que loin d’être nécessaire pour l’unité de la classe des travailleurs comme le SACP (Parti « communiste » sud-africain) l’a toujours défendu, cette Alliance garantissait sa désunion. Izwi a donc appelé la base du Cosatu à reconquérir l’indépendance politique de classe de leur fédération en faisant sortir le Cosatu de l’Alliance.

La contradiction était qu’une fédération syndicale à l’histoire militante et à l’idéologie socialiste ne pouvait rester dans une alliance avec l’ANC, un parti pro-capitaliste, et avec les chantres du capitalisme sud-africain regroupés au sein du Parti « communiste » sud-africain. Cela ne faisait que menacer l’unité des travailleurs. La fédération syndicale fut déchirée par des pressions irréconciliables : la loyauté et la soumission politiques à l’ANC d’une part et les intérêts des travailleurs qui ont édifié le Cosatu par leur sueur et leur sang d’autre part.

De fait, cela fait des années que l’on assiste à un processus de scission du Cosatu au ralenti, au vu des nombreuses scissions à petite échelle au niveau des syndicats membres du Cosatu. Le massacre de Marikana en 2012 (la police tirant sur des grévistes et faisant de nombreux morts) a été le choc final qui a ébranlé les fondations de l’Alliance et qui a tracé une ligne nette entre les forces qui s’alignaient du côté du gouvernement ANC ainsi que des patrons des mines et les revendications des comités de grève indépendants mis en place par les mineurs qui aspiraient à une indépendance politique de classe. Marikana a constitué le point tournant qui a fait se transformer la quantité en qualité. Depuis ce moment charnière, la scission définitive du Cosatu était garantie ; la seule chose que nous ne pouvions prédire était de savoir exactement comment et quand elle allait se produire. Les réponses à ces deux questions ont maintenant été données.

Une nouvelle fédération en voie de constitution

Depuis l’expulsion du Numsa en novembre dernier, Vavi et les dirigeants de divers syndicats (Syndicat des travailleurs du secteur public et alliés – Pawusa, Organisation démocratique des aides-soignants d’Afrique du sud – Denosa, Syndicat des travailleurs de l’alimentaire et alliés – Fawu, Syndicat des travailleurs de l’État d’Afrique du Sud – Sasawu, Syndicat des travailleurs de la communication – CWU, Syndicat des footballeurs sud-africains – Safpu, Syndicat des travailleurs du commerce et de l’hôtellerie d’Afrique du Sud – Saccawu) boycottent les réunions du Cosatu en solidarité avec le Numsa.

La question d’une nouvelle fédération syndicale se pose aujourd’hui ouvertement et les discussions sont déjà en cours en vue de sa réalisation. Vavi a déclaré qu’une réunion des alliés du Numsa au sein du Cosatu se tiendra les 5 et 6 mai prochain afin de discuter de la suite des évènements et de préparer un « Congrès des travailleurs » au mois de juin. On dit aussi que le Numsa est en train de discuter avec la fédération Nactu (Conseil national des syndicats), avec l’Amcu (Association des syndicats des travailleurs des mines et de la construction) et avec d’autres syndicats indépendants.

Les défenseurs des idées du socialisme se battent pour l’unité la plus large possible de la classe des travailleurs. Mais à certains moments de l’histoire, une scission telle que celle qui est à présent en train de se produire au sein du Cosatu a le potentiel d’être progressiste à partir du moment où elle donne la possibilité d’accroitre la combativité de la classe des travailleurs.

Cela fait maintenant deux ans que le Cosatu est paralysé. Malgré des résolutions en vue de mener des campagnes et des luttes sur divers thèmes tels que le personnel de sous-traitance et les péages routiers, rien ne s’est concrétisé. Nous reprenons l’appel de Vavi : « Arrêtez de pleurer, organisez-vous ! » En outre, Vavi a également déclaré : « Vous me trouverez partout, en train de marcher avec les travailleurs, en train de les mobiliser, en train de renforcer le recrutement des travailleurs (…) en train de négocier, de mener des campagnes contre la sous-traitance, contre les péages, contre l’exploitation, contre les licenciements (…) » Il est clair que les meilleures traditions de combativité ont quitté le Cosatu en même temps que le Numsa et Vavi. La lutte doit se trouver au cœur de la nouvelle fédération.

Le WASP soutient le plan proposé pour aller de l’avant. Nous avons constamment appelé le Numsa et ses alliés à convoquer un tel congrès, surtout vu le mépris ouvert de la direction pro-ANC du Cosatu par rapport à ses propres statuts, qui exigent notamment la tenue d’un congrès extraordinaire pourtant exigée par les textes en pareilles circonstances. Nous écrivions en novembre dernier : « Une date doit être donnée pour une conférence au début de l’an prochain afin de discuter de l’avenir du mouvement syndical. Cette conférence devra être ouverte non seulement au Numsa et à ses alliés, mais à tous les membres et structures des autres centrales membres du Cosatu, aux membres de la fédération syndicale Nactu, aux syndicats indépendants et à des groupes de travailleurs non organisés qui luttent pour fonder de nouveaux syndicats. » Il est très important que tout « Congrès des travailleurs » cherche à lancer un pont vers tous les travailleurs qui sont encore détenus comme otages dans ce qui reste du Cosatu et fasse tous les efforts possibles pour les rallier.

La question pressante est maintenant l’orientation et le caractère politiques de cette éventuelle nouvelle fédération. Toute nouvelle centrale syndicale devra se baser sur des syndicats démocratiques et contrôlés par les travailleurs, comme cela était d’ailleurs l’intention des fondateurs du Cosatu en 1985.

Le mouvement doit se purger de la corruption envahissante des dernières vingt années. Une leçon cruciale à tirer de la chute du Cosatu est de reconnaitre l’impact nocif de la collaboration de classes. Vavi insiste sur la corruption en tant que cause première de la chute du Cosatu, mais en réalité, cette corruption n’est qu’un symptôme, la conséquence inévitable de la politique de collaboration de classes. La nouvelle fédération doit restaurer les idées socialistes de départ du Cosatu pour donner une fondation aux luttes qui s’ouvrent devant nous.

La désintégration du Cosatu va accélérer les divisions au sein du SACP, la parti « communiste » sud-africains. Elle va aussi continuer à saper l’autorité de l’ANC, ce qui s’est déjà reflété dans les élections générales de l’année passée, où la soi-disant majorité de 62 % attribuée à l’ANC masque en réalité le fait qu’à peine 34 % des électeurs sont venus voter pour lui. Toute nouvelle fédération devra lutter pour regagner l’indépendance de classe des travailleurs non seulement sur le plan syndical mais aussi politique. L’objectif du « Congrès des travailleurs » qui est proposé doit être non seulement de lancer une nouvelle fédération syndicale, mais aussi un nouveau parti des travailleurs de masse armé d’un programme socialiste. Le lancement d’un parti des travailleurs de masse est absolument impératif : il y a déjà un large soutien pour l’idée d’un tel parti.

Le fantôme du Cosatu

Il ne reste plus du Cosatu qu’une poignée de « dirigeants » corrompus qui tiennent le reste des membres en otage. Ces « dirigeants » considèrent les syndicats comme leur moyen d’enrichissement personnel et rien de plus. L’alignement sur l’ANC est la meilleure façon de réaliser leur appât du gain personnel. Qu’est-ce qui reste du Cosatu ? Le Numsa, le plus grand syndicat du continent africain, y a été remplacé par le Limusa, une organisation d’à peine 1600 membres, qui n’est rien de plus qu’une « boite postale » quand on la compare aux 340 000 membres du Numsa ! Le Num (Syndicat national des mineurs), dont les mains des dirigeants sont encore rouges du sang de leurs anciens membres à la suite du massacre de Marikana, voit son influence restaurée à l’intérieur du Cosatu.

Ceux qui restent au Cosatu ne sont pas unis derrière leurs dirigeants et leurs actions. Un travailleur du Samwu (Syndicat des travailleurs des communes d’Afrique du Sud) a téléphoné à une émission de Radio 702 pour expliquer que le Samwu ne soutient pas l’exclusion de Vavi et que lui et ses camarades attendent la convocation d’un congrès extraordinaire pour pouvoir venir y défendre leur ancien secrétaire général. Ce syndicaliste représente sans doute l’opinion de dizaines de milliers de travailleurs. Il faut s’attendre à de nouvelle scissions au sein des syndicats qui font encore partie du Cosatu.

Le Cosatu va devenir encore plus dépendant de l’ANC. Vavi a révélé que la fédération fait désormais face à un déficit budgétaire de 300 000 rands par mois (23.200 euros) vu qu’elle ne reçoit plus les cotisations du Numsa, qui s’élevaient à 11 millions de rands par mois (850.000 euros). Ce qui reste du Cosatu n’est plus qu’une « cinquième colonne » de traitres au sein du mouvement syndical.

Perspectives

Depuis des années, la politique de la direction de l’ANC a été de chercher à transformer le Cosatu en un simple « bureau du travail ». Cela ne veut pas dire que la direction de l’ANC est contente de l’exclusion de Vavi, pas plus qu’elle n’a été contente de l’exclusion du Numsa. L’ANC a tout fait pour maintenir l’unité du Cosatu, non pas avec le soucis de l’unité des travailleurs, mais parce que l’ANC comprend bien qu’une opposition de la classe des travailleurs pourrait se rassembler autour du Numsa indépendant. Tous ses efforts de médiation n’avaient pour but que le maintien du Numsa en tant que prisonnier de l’Alliance tripartite. Le secrétaire général de l’ANC, M. Gwede Mantashe, a déjà exprimé sa déception par rapport à l’expulsion maladroite de Vavi. Toute la « stratégie » de l’ANC s’effondre comme un château de cartes.

La manière dont la scission du Cosatu se déroule à présent ne peut qu’accélérer la chute de ce qui restait de soutien à l’ANC parmi la classe des travailleurs. Vu l’intensification de la rivalité entre syndicats qui s’ensuivra après la naissance d’une nouvelle fédération, les patrons, encouragés par les services que l’ANC leur a rendu à Marikana, s’attendront à ce que ces méthodes se poursuivent, surtout au vu de la grave crise de l’économie du pays. Sous cette pression, l’ANC va à son tour mettre la pression sur ce qui reste du Cosatu pour l’aider à « gérer les attentes » qui existent au sein de la classe des travailleurs.

Dans l’immédiat, la première épreuve seront les négociations salariales du secteur public. Le petit groupe pro-ANC qui contrôle encore le Cosatu ne pourra trouver nulle place où se cacher. L’ANC, le maître politique du Cosatu, se fait passer pour son allié alors qu’il est en même temps son employeur. Si le Cosatu est perçu comme étant de manière trop flagrante dans la poche de l’ANC et des patrons, il va perdre ce qui lui restait de crédibilité, et l’hémorragie de membres vers la nouvelle fédération va le saigner jusqu’à ce que mort s’ensuive. D’un autre côté, si le Cosatu tente une offensive par opportunisme, il va endommager ses relations avec l’ANC, qui y verra un acte de déloyauté. À ce moment, puisque le Cosatu ne lui sera plus d’aucune utilité, il sera écarté et le gouvernement ANC aura à accomplir lui-même le sale travail en attaquant frontalement la classe des travailleurs.

L’ANC est donc à présent confronté à une situation « perdant-perdant ». La scission du Cosatu va aggraver les pertes de l’ANC au cours des élections locales de 2016, qui se dérouleront dans moins d’un an. L’idée d’un nouveau parti indépendant des travailleurs va se poser de plus en plus clairement dans l’esprit de la classe ouvrière. Nous avons anticipé cela dans notre déclaration du nouvel an où nous écrivions que « Le réalignement du mouvement syndical va se poursuivre en 2015 et la bataille pour le Cosatu va entrer dans sa phase finale ». L’expulsion de Vavi et l’admission du Limusa au Cosatu a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de cette fédération.

Lorsque le Numsa s’est embarqué dans l’aventure de son congrès national extraordinaire de décembre 2013, il était seul. Il a à présent été rejoint par sept membres du Cosatu dans la lutte pour une nouvelle fédération, par de nombreuses formations politiques et par toute une série d’organisations de quartier, d’associations étudiantes et de jeunes, et d’autres formations dans le cadre d’un front uni pour préparer le Mouvement pour le socialisme auquel le Numsa appelle. A la base de toutes ces organisations se trouve un ardent désir d’unifier les différentes luttes au sein et à travers des trois arènes de lutte que sont les services publics, l’enseignement supérieur et les entreprises sous la direction d’un parti de masse des travailleurs. Un nouveau chapitre de la lutte de la classe des travailleurs s’ouvre donc. L’histoire nous attend. En avant pour un nouveau parti de masse des travailleurs armé d’un programme socialiste !

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