Débat écologie.

Nous avons reçu une lettre intéressante d’un de nos lecteurs qui conteste divers points du dossier écologie paru dans le numéro de juillet-août. Nous sommes heureux de publier ici cette lettre et notre réponse. Si vous aussi, vous voulez réagir à un article, apporter des informations ou donner votre point de vue sur le journal, écrivez-nous. Ce journal n’est pas seulement celui de notre organisation mais il veut être aussi une tribune et un lieu de débat pour ceux qui veulent lutter contre le capitalisme. Alors, à vos bics et à vos claviers !

> Ecologie et capitalisme: Lutter pour l’un, c’est détruire l’autre


Ne caricaturez pas la critique « écologiste » du système !

Cher Nicolas,

Je vous rejoins entièrement sur l’idée que sauver l’environnement sous le capitalisme est une ineptie (voir dossier écologie, AS n°123). Là où je ne vous suis plus, c’est dans la caricature que vous dressez de la critique « «écologiste » du système.

Vous présentez le bio comme une arnaque qui « joue sur le sentiment d’insécurité alimentaire » (sic) pour faire un max de profits « sans que l’on sache ce qui est véritablement bio ou pas ». A vrai dire, il suffit de lire les étiquettes…

Dans les faits, vous reprenez mot pour mot les arguments des tenants de l’industrie agroalimentaire (qui pensent, comme vous, que la chimie est « toujours une source de progrès considérables », adage qu’ils se plaisent à appliquer à grands de pulvérisations car, ô progrès, on récolte plus de blé quand il a poussé sous les engrais et les pesticides) dans un front commun inédit entre marxisme révolutionnaire et multinationales de la bouffe sous vide.

Si, en attendant la révolution, vous ne voyez pas d’inconvénients à ingurgiter de la viande parfumée aux hormones, des poulets élevés en camps de concentration et des salades respirant des pesticides sous leur cloche en plastique, grand bien vous fasse. On peut se résigner à manger de la m… mais on peut aussi se battre pour que le bio devienne la norme et qu’il soit accessible à tous.

Pour ma part, je trouve aussi important – oserais-je dire plus ? – de se battre pour manger plus sain que de dénoncer l’augmentation du prix des sacs-poubelles. Car l’augmentation du niveau de vie depuis 30 ans, c’est aussi le boom de la consommation, l’aliénation sur écran plat, les caddies qui débordent de boustifaille industrielle, les jantes chromées pour avoir l’impression de briller et les frites grasses les soirs de foot.

Pas de niveau de vie sans qualité de vie et vice versa. Luttes économique et lutte politique. IL faut se battre sur tous les fronts. Le bio ne changera pas le monde mais les 32 heures sans perte de salaire non plus. Toute critique du système (de gauche s’entend) est bonne à prendre, encore plus quand des gens s’organisent pour la transformer en lutte. Plutôt que de faire de chaque contestation une impasse, voyez-y plutôt une porte ouverte… parce que, quand vous assimilez la logique des partisans de la décroissance à celle des gouvernements qui appliquent des politiques d’austérité, vous sombrez dans le sectarisme burlesque.

Il ne s’agit pas seulement de prôner un nouveau parti des travailleurs sur papier, il faut surtout prendre des positions politiques concrètes qui vont dans ce sens. Il ne faut pas diviser artificiellement, il faut unifier.

Au plaisir d’en débattre avec vous.

Bernard MOCH,

Prof et berger


Nous ne pensons hélas pas le faire…

Cher Bernard,

Nous accordons bien évidemment une grande importance à la qualité de vie de la population et dénonçons donc l’utilisation irresponsable de produits chimiques dans l’alimentation. Mais pour nous, lutter pour une alimentation saine passe obligatoirement par le changement radical du système. Et il ne s’agit pas d’attendre celui-ci, il s’agit d’en favoriser l’arrivée le plus rapidement possible.

Pour obtenir une « étiquette bio», il faut respecter les termes d’une charte dont différents organismes de contrôles assurent le respect. Même si des tricheries existent, elle semblent moins nombreuses que dans d’autres domaines, et c’est heureux. Mais derrière ce terme de bio, différentes réalités existent, du bio artisanal au bio industriel, du bio local aux produits suremballés ramenés de l’autre bout du monde pour seules raisons d’avantages financiers. Même des multinationales pharmaceutiques investissent maintenant dans ce marché devenu très porteur et rentable.

De l’autre côté, si nous admettons bien qu’il existe toujours – dans le sens de « encore actuellement » et pas de « du début à la fin des temps » – des progrès apportés par la chimie, nous ne nous plaçons pas du même côté que les multinationales qui utilisent ce fait comme feuille de vigne pour cacher leurs pratiques dictées par la seule logique de profit. Pas de front commun inédit cette fois-ci, donc…

Si nous sommes, vous et nous, d’accord sur l’absolue nécessité de sortir du capitalisme, la majorité des militants « bio » veulent convaincre les gens un à un d’une autre manière de s’alimenter, dans un système où les médias, l’éducation et la distribution alimentaire sont aux mains des capitalistes ou de l’Etat qui les protège. Pour beaucoup de ces militants, produire et manger bio est même devenue une fin en soi, qui rend superflue une véritable activité politique.

Pour nous, c’est le processus de la lutte collective qui permet de créer les conditions matérielles pour intervenir sur les mentalités. L’éducation seule ou la petite production « éthique » à l’intérieur du capitalisme ne peut suffire à ronger jour après jour des habitudes entretenues par celui-ci.

A ce titre, une revendication comme le partage du temps de travail entre les travailleurs et sans perte de salaire (les 32 heures) est un mot d’ordre qui nous semble bien plus capable de modifier le système dans la mesure où il met en lumière l’opposition entre les besoins pressants de la majorité et le droit de propriété d’une minorité.

Je terminerai cette (courte) réponse en précisant que mettre en avant nos critiques est un gage d’honnêteté et non de sectarisme. C’est à notre sens une base plus saine pour envisager des actions en commun, en connaissance des positions de chacun. J’espère donc vivement vous retrouver bientôt dans les luttes à venir, côte à côte malgré nos divergences.

Nicolas CROES

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