Face à la violence de groupes islamistes, notre gouvernement s’apprête à emboiter le pas aux USA et à la France : il choisit de combattre les « ennemis de la liberté »… en diminuant nos libertés ! Mises sur écoute sans autorisation d’un juge, interrogatoires sans avocats, militaires dans la rue,… les idées pleuvent. Un gouvernement créatif et dynamique où se discute actuellement la nouvelle trouvaille : la déchéance de nationalité.
Par Nicolas P. (Bruxelles)
Déchéance pour qui ? Pour quoi ?
Même si aucun texte précis n’a été présenté pour l’instant, la volonté est claire : retirer la nationalité belge aux auteurs d’actes terroristes d’origine étrangère. La « ligne dure » de la NVA va jusqu’à demander le retrait de nationalité aux immigrés de 3ème génération (donc ceux dont les parents sont nés en Belgique !).
Il n’y a évidemment aucun désaccord sur le fait que les coupables de tels actes doivent être punis. Cependant, une analyse un tant soit peu posée montre qu’il s’agit d’une mesure inefficace, stupide et discriminante.
Premièrement, toute considération idéologique mise de côté, il est assez utopique d’imaginer décourager des gens prêts à mourir pour leur « cause » avec un retrait de passeport. Il s’agit de personnes décidées à sacrifier leurs vies pour accomplir leurs actes barbares, et il est très peu probable que la menace d’un retrait de nationalité ait le moindre impact sur leurs choix.
Il s’agit donc peut-être d’autre chose, peut-être notre gouvernement souhaite-t-il réserver uniquement la nationalité belge aux gens qui partagent un certain socle de valeurs, dont le rejet du terrorisme ? Idée intéressante qui se heurte immédiatement à un mur de raisonnement : Pourquoi ne la retirer qu’aux terroristes ? On n’a entendu aucune voix demander la déchéance de nationalité pour Marc Dutroux ou pour Michelle Martin. Une punition sélective, qui ne s’appliquerait qu’à une classe de crimes, indépendamment de la gravité de ceux-ci? Une prétendue « communauté nationale de valeurs » qui n’existerait que pour les actes de terrorisme, et pas les viols, les agressions racistes ni quoique ce soit qui pourrait toucher le reste de la population? L’argument commence à s’effriter…
Il ne s’agirait donc ni d’être efficace dans la lutte contre le terrorisme, ni cohérent dans la vision légale.
Des citoyens et des sous-citoyens…
Il est constitutionnellement impossible de rendre quelqu’un apatride. Cette mesure ne pourra donc s’appliquer qu’aux citoyens possédant la double nationalité. Inutile de voiler les faits, ce sont clairement les populations immigrées belgo-marocaine, belgo-turque, etc. qui sont visées.
A l’inverse des vastes mouvements qui revendiquent plus de solidarité et un combat commun contre la haine, ce projet du gouvernement aura pour unique conséquence non pas de dissuader des terroristes mais bien de créer deux classes de citoyens belges, ceux qui sont certains de conserver quoiqu’il arrive leur nationalité et puis les autres.
Un jeune d’origine maghrébine, dont la Belgique a fait venir les grands-parents pour construire nos métros pour un salaire de misère, se voit donc envoyer un message très clair : il n’est et ne sera jamais tout à fait belge.
Montée du fondamentalisme islamique : quelles causes pour quelles solutions ?
Isoler la conséquence des causes est une méthode typique des médias dominants actuels et ne sert que deux choses : un affaiblissement intellectuel navrant du débat politique et un passage en force d’un projet politique en évitant toute discussion, toute contradiction et toute opposition.
Prendre les violences de groupes terroristes se réclamant de l’Islam sans s’interroger sur les racines de cette violence n’endiguera aucune barbarie.
A l’échelle mondiale…
A l’échelle mondiale et nationale, la religion musulmane et de nombreux caractères culturels qui s’y rattachent sont stigmatisés. Alors qu’il est statistiquement prouvé que les musulmans sont les premières victimes de ces violences en termes de morts et que les actes terroristes « islamistes » sont minoritaires en comparaison aux autres (indépendantistes, néonazis,…), l’Islam (ou dans le meilleur des cas les « extrémistes » uniquement) est posée comme le prétendu défi de notre siècle, la menace pour notre civilisation et la démocratie.
Pour protéger notre « modèle de société » et notre liberté, il est donc entrepris d’influencer des gouvernements, de financer des partis politiques ou des groupes paramilitaires, ou en dernier recours de bombarder, envahir et occuper des pays.
Naturellement dans le même temps, il est nécessaire de continuer à faire des affaires avec l’Arabie Saoudite par exemple, qui est connue comme un des principaux supports financiers des groupes islamistes à travers le monde. Le sujet ne serait pas aussi grave, la vague d’émotions et de condoléances des dirigeants occidentaux lors de la mort du Roi Abdallah (despote sanguinaire qui règne sur un pays où les coups de fouets et les lapidations sont légaux et courantes) serait d’ailleurs assez amusante en comparaison des réjouissances qui ont accompagné la mort du Président du Venezuela Hugo Chavez. Naturellement, lorsqu’un président choisit d’utiliser les ressources pétrolières du pays pour financer des programmes sociaux (ce qui lui a notamment valu de gagner d’affilée 8 élections reconnues libres par les observateurs internationaux) plutôt que pour s’enrichir personnellement (le Roi Abdallah était le souverain le plus riche du monde avec plus de 18 milliards de dollars de fortune), les choses se présentent différemment pour l’establishment capitaliste.
La politique internationale des puissances occidentales est la même depuis des dizaines d’années. Bombardements, menaces et ingérences pour défendre les prétendus « intérêts occidentaux » sous couvert de démocratie. Quand ce n’est pas Dieu qui est invoqué (comme lorsque le président Bush avait déclaré que Dieu lui avait « demandé » d’amener la liberté en Irak) c’est la défense de la liberté et la lutte contre le terrorisme qui sont utilisés pour renverser des gouvernements, soutenir des groupes rebelles ou bombarder des villes.
Les grands groupes de multinationales sont évidemment les premières bénéficiaires de ces politiques. De nouveaux marchés sont ouverts et toute régulation étatique est abolie. En matière de sécurité, d’armements, de ressources primaires, d’électricité,… les profits en jeux sont colossaux. Comme l’économiste anglaise Naomi Klein le détaillait avec brio dans son livre « la stratégie du choc », les conflits militaires et les marchés libérés par ceux-ci sont un des premiers facteurs à la fois de prise de décision des politiciens occidentaux, mais aussi de perpétuation de la misère dans les pays du monde néocolonial.
…et nationale
Il ne s’agit pas de pleurnicherie mais de faits réels, et donc à prendre en compte : les musulmans sont discriminés à l’embauche, dans le logement et régulièrement par les forces de police (quand ce n’est pas par le personnel médical par exemple, comme avec ce médecin qui avait fait parlé de lui en déclarant refuser de soigner « les barbus et les voilées »). Il y a peu, l’hebdomadaire Moustique nous honorait d’une couverture « Mon voisin est musulman », empreinte de panique. Une énorme partie des citoyens belges non-musulmans naissent, vivent et votent sans avoir jamais réellement discuté avec un musulman. L’essentiel des médias donne une image tronquée, d’une population menaçante, dangereusement différente de « nous » et qui refuse de se mélanger.
Enfin, les populations immigrées sont majoritairement constituées de pauvres. Ils sont parmi les groupes les plus touchés par les effets de la crise, les fermetures d’usines, l’austérité. En Belgique, entre 43% et 52% (selon les études) des Belges d’origine marocaine vivent sous le seuil de pauvreté. Une petite visite dans les quartiers délabrés de Molenbeek où s’entassent des familles dans des appartements minuscules serait sans doute une bonne prise de conscience pour l’essentiel des journalistes et politiciens « caucasiens » pour qui la misère n’est qu’un mot dans un discours ou une donnée statistique et jamais une réalité palpable.
Dans ces quartiers, l’état s’est bien souvent désinvesti de toute mission. Écoles de devoirs, éducateurs de rues, théâtres, plaines de vacances… tous ces secteurs qui permettent aux jeunes de s’épanouir et de s’éduquer malgré une situation difficile sont aujourd’hui menacés et en grande partie déjà amputés par les politiques néolibérales.
Alors comment faire ?
De nombreux musulmans reconnaissent le caractère impérialiste et hypocrite de la politique internationale menée par l’Europe et les États-Unis. Partout, l’image qui leur est renvoyée est celle d’un Occident hostile, si pas en guerre contre l’Islam. En Europe, discrimination et pauvreté sont le quotidien. Pointés du doigt et fragilisés socialement, de nombreux jeunes sont des cibles faciles pour des recruteurs djihadistes. Ces derniers trouvent d’ailleurs d’excellents arguments dans les actions du gouvernement (« tu vois de toutes façons ils te détestent/ne te traitent pas comme les autres/… »).
Face à une situation internationale révoltante et des conditions sociales souvent misérables, le discours déformé des groupes djihadistes sont tentants.
Combattre ces groupes devrait passer par trois choses. Une lutte contre le racisme, pour enfin appliquer les belles paroles d’égalité prononcées si souvent. Un réinvestissement public dans les secteurs sociaux plutôt qu’une austérité barbare et impopulaire comme appliquée actuellement. Une politique internationale cohérente, qui refuse la collaboration avec les pays qui financent ces groupes, et un arrêt des opérations impérialistes militaires comme économiques.
Pour les masses de pauvres des pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord comme de l’Occident, les injustices et les oppressions de ce monde sont indéniables. La seule idéologie que les jeunes musulmans voient comme une alternative est l’islamisme radical. Or, il fut un temps où les espoirs pour une société meilleure s’incarnaient différemment. Avec toutes les critiques que l’on peut (et doit !) faire envers les grands Partis Communistes qui existaient par le passé (et qui ont d’ailleurs perdu leur position essentiellement suite à leurs erreurs politiques), il est indéniable que ceux-ci étaient vus comme l’outil privilégié pour lutter contre les injustices et les inégalités. Analyser pourquoi ceux-ci ont échoué est nécessaire. Mais pour combattre les partisans de la haine, que ce soient des néonazis norvégiens ou des terroristes islamistes, il est nécessaire de reconstruire un mouvement large, démocratique et populaire qui permet de lutter pour une société différente. Faillir à cette mission, c’est laisser la voie aux pires régimes de terreur.
C’est ce que l’Histoire nous enseigne à travers l’échec de la révolution allemande et à la victoire du nazisme qui a suivi ou aux complications du processus de révolution et de contre-révolution en Tunisie.
Avec le Parti Socialiste de Lutte et les Etudiants de Gauche Actifs, nous considérons que notre tâche, plutôt que de chercher comment mieux contrôler les citoyens et mieux exclure certains d’entre eux, doit être de reconstruire une idéologie et une société basée sur l’égalité, et non les différences ; sur la liberté plutôt que l’oppression ; et sur la justice sociale plutôt que sur les montagnes de misères causées par le capitalisme. C’est ce que nous appelons une société socialiste. Et comme le déclarait Rosa Luxembourg , il s’agit de se poser la question : socialisme, ou barbarie.