En 1989, les premières élections directes pour la présidence de la république depuis le coup d’Etat de 1964 prenaient place au Brésil. A cette époque, la campagne présidentielle du Parti des Travailleurs (PT) et du «Front populaire brésilien», mis en place par Lula, fut le point le plus élevé d’une ascension des luttes sociales qui allaient marquer toute la décennie des années 80. Aujourd’hui, face au changement de cap du PT, d’importantes leçons peuvent être tirées de l’évolution à droite de ce parti pour la gauche désireuse de ne pas emprunter le même chemin dangereux.
Par André Ferrari, LSR (section brésilienne du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL)
Les élections de 1989 au Brésil se sont produites dans un contexte de profonde crise économique, sociale et culturelle. Le nouveau régime politique qui commençait à être construit à partir de la constitution de 1988 était marquée par la continuation d’une politique de droite. L’appareil répressif, la politique économique orientée par le FMI et les attaques contre les travailleurs qui avaient marquées un demi-siècle de dictature étaient toujours en vigueur.
Aux rênes du gouvernement, José Sarney battait tous les records d’impopularité. Le premier président civil depuis 1964 était arrivé au pouvoir suite au décès de Tancredo Neves, qui avait été reconduit dans ses fonction par le collège électoral. La politique de Tacredo Neves représentait le grand accord entre une opposition bourgeoise modérée, le régime militaire (PMBD) et la bureaucratie de ce même régime.
L’accord de tous les secteurs de la bourgeoisie encadrant l’école de Tancredo Neves au collège électoral représentait la recherche d’une transition sure, sans heurts et sans modifications radicales de politiques. Ces secteurs de la société réprimaient la création d’un mouvement venant du bas de l’échiquier politique, organisé par les travailleurs, contre un régime bourgeois-militaire.
Depuis la fin des années ’70, la crise du modèle économique de la dictature, en pleine crise généralisée du capitalisme, avait ouvert la voie à une période de stagnation et d’inflation dérégulée. A la fin de cette décennie, la crise des dettes a plongé le pays dans les griffes des économistes du Fond monétaire international (FMI). Concrètement, le gouvernement a réduit les salaires et coupé drastiquement dans les fonds publics. Le nombre de sans-emplois s’est envolé et une dure politique de répression a été mise en place. Cette époque fut celle du général Figuieredo, mais la même approche s’est poursuivie sous Sarney (élu démocratiquement).
Ceux qui devaient supporter cette politique d’austérité et de répression ont riposté par des grèves et des mobilisations. Une nouvelle génération de travailleurs nés dans le processus d’industrialisation et d’urbanisation des années antérieures s’est investie dans l’organisation syndicale.
A Sao Paulo, l’industrie métallurgique avait organisé une riposte syndicale. Une structure syndicale a été mise au service des plus touchés par cette crise et est entrée en lutte pour les droits des travailleurs. La capitale du département de Sao Paulo et d’autres régions furent le nid d’une opposition syndicale qui organisait des grèves générales et disposait de son journal d’opposition.
Dans la banlieue de Sao Paulo et d’autres grandes villes, avant même que les grèves ne se développent, ce furent les femmes de la classe ouvrière qui sont entrées en lutte contre le coût trop élevé de la vie et pour des services publics de santé, d’éducation et de transports publics de qualité. De la même manière, un mouvement estudiantin s’est érigé, reprenant les mobilisations déjà en 1977 contre la répression du gouvernement. De ces actes de résistance et de mobilisation naquirent ou renaquirent les principaux mouvements sociaux qui dirigèrent les luttes de la décennie des années ’80, comme par exemple la CUT (1973), ou bien le MST (1984/85) et la UNE (Reconstruite en 1979). De ces progrès naquit aussi le Parti des Travailleurs (le PT), fondé officiellement en 1980.
La lutte pour un meilleur salaire, de meilleures conditions de travail, une réduction des heures de travail, pour un meilleur système de soins de santé, des école, des lignes de bus, contre le clivage social,… allaient dans le sens de la lutte pour la démocratie et pour l’organisation d’élections au suffrage universel et direct pour une assemblée constituante, c’est-à-dire pour la fin du régime militaire. Après la vague de grèves initiée en 1978, qui s’est résolue par la convocation de la première grève générale pour la commission nationale pro-CUT en juillet 1983, le PT a réuni en novembre de la même année la première commission pour des élections directes pour la présidence dans l’état de Pacaembu (Sao Paulo).
L’année suivante, l’intervention de l’opposition bourgeoise au régime militaire, avec divers officiels de l’Etat et la campagne « des droits maintenant » a eu des conséquences multiples. Des millions de personnes se réunirent dans les rues à travers tout le pays.
Une veille « nouvelle république »
Avant même l’approbation au congrès national de l’amendement d’Oliveira instaurant des élections directes, l’opposition bourgeoise soutenue par le PMDB (la junte militaire) une alliance avec une faction dissidente du parti gouvernant, le « Frente liberal » (front libéral) (futur PFL, puis DEM), avait déjà négocié une sortie contrôlée du régime militaire au travers du collège électoral.
Dans ce contexte, le PT a refusé de participer au collège électoral, dénonçant une manœuvre de l’opposition bourgeoise, avec comme conséquence l’expulsion de trois députés fédéraux partisans de la collaboration.
Avec le décès de Tancredo avant même de la possible ascension de José Sarney, le gouvernement appelé « nouvelle république » s’est résolu à convoquer des élections pour une assemblée constituante exclusive afin de commencer à transformer le congrès élu en 1986 en congrès avec des pouvoirs constituant. Ainsi, la force des mouvements sociaux a réussi à faire approuver la nouvelle constitution promulguée en 1988 ainsi qu’une série de droits sociaux que les gouvernement suivants, jusqu’aujourd’hui, chercheraient inlassablement à révoquer ou à neutraliser.
Basé sur l’espoir et l’illusion d’un premier gouvernement civil depuis plus de 20 ans et les promesses d’une sortie de crise économique représentée par le « plano cruzado » (littéralement le « plan croisé »), le PMDB de Sarney et Ulysses Guimaraes a obtenu une victoire électorale majeure en 1986, avec 22 gouverneurs sur 23 états. Ce même parti avait réussi un excellent résultat aux élections municipales un an auparavant.
Cette réussite fut cependant éphémère. Le gouvernement fut incapable de vaincre l’inflation et l’économie s’est effondrée. Le gouvernement Sarney s’est enfoncé dans une crise profonde. Le moratoire de la division externe qui suivit ne fut pas un acte de souveraineté contre les banques internationales mais plutôt une attitude désespérée.
La crise au PMDB et la victoire de la gauche
Aux élections municipales de 1988, le PT a obtenu une victoire importante avec Luiza Erundina à Sao Paulo, une candidate élue par les électeurs les plus à gauche du parti qui, par ailleurs, fut causée par le décès de trois techniciens de la CSN dans la grève de la sidérurgie. Cette grève fut violemment réprimée par le régime en place. Avec la capitale de Sao Paulo, le PT a gagné entre autres deux capitales de départements : Porto Alegre et Victoria. Le PMDB, lui, perdit 15 des 19 capitales conquises aux élections de 1985.
Les élections de 1989 se produisirent dans ce contexte radicalisé. Le PT grandissait et canalisait chaque fois plus d’espoir et de changement.
Collor contre Lula
Contre la menace que représentait Lula, mais aussi contre la montée en puissance d’un autre parti de gauche (brizola), la classe dominante a mis en place une campagne avec les moyens de communication de masse de la classe bourgeoise.
Fernand Collor de Melo se disait « anti-Lula » et, avec une image de « chasseurs de sorcières », il s’est acquis une base sociale parmi les secteurs les plus désorganisés des pauvres, chez les classes moyennes les plus conservatrices et chez la grande bourgeoisie nationale et étrangère.
Lula a vaincu Brizola au premier tour avec une petite marge de vote et a continué à gagner en intentions de vote pour disputer le second tour avec Collor. Ils furent 16,08% pour le candidat du PT et du FBP (« Front du Brésil populaire) et 15,45% pour le candidat du PDT (Collor). Une différence d’au moins 500 milles votes.
La base sociale du PT était fondamentalement constituée des secteurs les plus conscients et organisés de la classe ouvrière, d’amples secteurs de la jeunesse et des factions plus radicalisées des classes moyennes.
Une campagne de gauche avec des contradictions
L’année 1989 a commencé avec une grande grève générale de 48 heures convoquée par le syndicat CUT pour les 14 et 15 mars. 35 millions de travailleurs furent mobilisés à travers tout le pays. La grève fut mise en place contre la politique de réductions salariale du gouvernement Sarney, l’absence d’emplois, la récession et les coupes budgétaires dans les secteurs publics.
La campagne du parti « Frente Brasil Popular » (littéralement « le front brésilien populaire » composé du PT, du PCdoB et du PSB) fut marquée par la dénonciation du gouvernement Sarney et des alternatives électorales de la bourgeoisie, appuyant les lutes des travailleurs et la défense d’un programme dénommé « démocratique et populaire ».
Le programme du parti comprenait d’importante réformes possibles au sein du capitalisme (abroger la dividende externe au FMI, instaurer une réforme agraire, lutter contre l’impérialisme et les monopoles) mais aussi la revendication, au moins dans les mots, de la construction d’une hégémonie des travailleurs qui permettrait d’avancer en direction du socialisme.
Dans le contexte des mobilisations contre la bureaucratie stalinienne dans les pays de l’Est et des réformes de Gorbatchev dans l’ancienne Union Soviétique, le PT était sans aucun doute identifié à gauche avec un « attrait social » au moment ou le monde se tournait dans l’autre direction (politique de droite plus marquée, mondialisation,…). Au lieu de réitérer sa défense d’un modèle social et démocratique, le PT n’avait pas une réponse catégorique et claire sur les processus à l’oeuvre en Europe de l’Est stalinienne. La conception du socialisme du PT était limitée et peu concluante en tant que politique claire et de lutte pour le socialisme. Les années antérieures, le PT avait dans ses rangs des dirigeants de partis staliniens et des liens avec de tels partis dans d’autres pays.
La stratégie du programme et du gouvernement « démocratique et populaire » aussi reflétait une vision essentiellement réformiste de la stratégie du PT. Les réformes défendues n’étaient pas liées de manière claire à la nécessité d’une rupture claire avec le capitalisme. L’annulation du payement de la dette souveraine présente dans le programme, par exemple, n’était pas liée à la nationalisation des banques et du système financier sous contrôle des travailleurs.
Une stratégie spécifiquement électorale
Au lieu de reconnaitre l’importance des luttes populaire dans la stratégie vers la prise de pouvoir, la ligne conductrice du PT était essentiellement électorale. Elle traitait de l’élection de Lula et du début de transformations graduelles des conditions de la classe ouvrière. Dans un contexte international qui commençait déjà à être plus difficile avec l’effondrement de l’Union Soviétique et l’offensive néolibérale, le PT a commencé à s’adapter à la logique d’administration des états les plus riches.
Des éléments de cette situation furent clairs dans les administrations du PT à un niveau municipal. Depuis la victoire à Diadema et Fortaleza en 1985, en passant par la capitale Sao Paulo, Porto Alegre et Vitoria en 1988, le PT a affronté diverses contradictions pour brider les administrations bourgeoises mais, en même temps, a remis en cause ses politiques. Même si des conquêtes importantes ont pu être obtenues en quelques cas, le temps de l’adaptation à un système bourgeois commençait.
La pression bureaucratique et parlementaire
A côté d’une couche bureaucratique syndicale radicalisée par la conjoncture existant depuis la fondation du parti, au moment où le PT conquis des mandats parlementaires et à l’exécutif du parti, grandissait aussi à l’intérieur du parti une classe bureaucratique véhiculée par les Etats riches du Brésil. À chaque fois la volonté des secteurs proches des mandats du parlement prévalaient, le poids des noyaux de base et des militants et mouvement sociaux décroissait.
Ce processus fut qualitativement aggravé quand se produisit une période de reflux des luttes sociales, principalement dans les années 90. Le reflux reflétait une rupture de la décade antérieure de luttes intestines et de peu de victoires mais aussi de l’offensive idéologique des classes bourgeoises mondiales avec l’effondrement du malheureusement appelé « vrai socialisme ».
Un facteur central fut la transformation de la base matérielle de la classe ouvrière. La désindustrialisation, l’adoption de nouvelles formes de gestion de la production et la précarisation des relations de travail, tous ces facteurs rendirent difficile l’action et la conscience de classe sociale.
Le PT fut incapable d’affronter cette situation plus complexe de classe et fini par abandonner une vision de classes sociales qui a marqué ses origines. Dans ce contexte, le poids des bureaucrates et des parlementaires devint absolument hégémonique. Ils voulaient juste conserver le pouvoir.
La déroute de Lula et le tournant vers une politique de droite
La fin des décomptes des voix dans le second tour de la présidentielle en 1989 s’est jouée sur une marge incroyablement petite. Au second tour, Lula a obtenu 31 millions de votes et Collor 35 millions (53%) La victoire de Collor fut fondamentale : ce fut la victoire du terrorisme médiatique qui se créait contre Lula et le PT.
En conclusion, le secteur majoritaire du PT a pris des leçons de 1989, dans un contexte d’une forte offensive idéologique néolibérale, et également que le parti devait « modérer » sa ligne politique. Pendant le congrès du PT réalisé en 1990, un important virage à droite dans cette ligne politique se mis en place.
L’aile gauche du parti résista et certains de ses secteurs parvinrent à gagner des positions internes, dirigeant partiellement la campagne électorale de 1994. Mais, dans la pratique du tournant à droite continuant jusqu’à ce que cette politique fut effacée de la direction en 2002. A ce moment, les aspirations populaires sont toutes autres, le PT s’est imposé comme un outil de maintenance de l’ordre capitaliste du pays.
Arriver au gouvernement fédéral représentait une victoire majeure, mais obtenue en dehors de tous les idéaux du PT des années 80. Un nouveau PT, ou bien plutôt ex-PT, naquit comme terreau pour toute la bourgeoisie brésilienne. Sa relation électorale avec la classe ouvrière n’a rien à voir avec celle des années 80.
Le PSOL et le vieux PT des origines
Il y a beaucoup à apprendre aujourd’hui de ce PT qui a failli remporter les présidentielles de 1989. De ce parti, du peu qui en reste, il est possible de dire que presque aucune des politiques ne vient de sa base ouvrière et de la lutte. Les parlementaires « radicaux » ont étés expulsés du parti en 2003 et ont souffert de cette persécution parce qu’ils insistaient sur le maintien des positions politique défendues par le congrès du parti de 1989.
C’est au PSOL qu’il est possible de rencontrer, en bien comme en mal, le plus de ce projet politique prédominant du PT des origines.
Le PT des années 1980 représentait un grand pas en avant pour la classe ouvrière. En comparaison du PT d’aujourd’hui, il parait tellement meilleur que l’on peut se dire satisfait de sa politique. Il est cependant impossible de se contenter de cela. Ceux qui veulent reconstruire la lutte des travailleurs ne peuvent pas simplement tenter de reconstruire le vieux PT des origines. Il faut apprendre des erreurs et des limites de ce PT. Il est important d’apprendre de ce parti et de tenter de ne pas répéter ses moments d’hésitation
Une nouvelle gauche qui domine le PT doit chercher ce que le parti avait de meilleur : l’enracinement dans les luttes populaires. Mais, cette gauche doit rejeter une stratégie électorale centriste, et en même temps reconnaître que le débat électoral et une partie important de la politique du parti.
Il se doit de rejeter la conception « réformiste » et « en étapes » du programme démocratique et populaire et reconstruire un programme et une stratégie anticapitaliste et socialiste. Son actualité doit se donner sur une base de l’internationalisme de la classe des travailleurs. Nous devons adopter un fonctionnement interne de caractère militant et radicalement démocratique. Le contrôle de la base sur la direction et l’unique mécanisme capable de contrer les pressions de droite.