Sport et dopage. Un vieux couple infernal

Depuis l’affaire Festina en 1998, le cyclisme promet chaque année de laver plus blanc. Pourtant, cette année, le Tour de France a été le théâtre d’épisodes pitoyables. Quand les uns étaient pris la main dans le sac, les autres se prenaient les pieds dans le tapis. Tout cela sur fond de guéguerre entre l’UCI (Union Cycliste Internationale) et la Société du Tour. Comment en est-on arrivé là ?

J. Larock

Officiellement, l’histoire du dopage a débuté en 1967, lorsque Tom Simpson s’est écroulé sur les pentes du Ventoux, sous un soleil de plomb. Dans les faits, le dopage est aussi ancien que le Tour de France. Et l’on pourrait faire le même constat pour d’autres sports. À cette époque héroïque, chacun y allait de son petit remède miracle pour être plus fort et oublier la douleur. Le journaliste Albert Londres en a notamment décrit l’usage au moment du Tour de France de 1924: «Les coureurs enduisaient le fond de leur cuissarde. La cocaïne pénétrait progressivement par voie cutanée et permettait d’améliorer les conditions de course.» Après la seconde Guerre, des produits plus sophistiqués ont fait leur apparition, à commencer par les amphétamines.

À ses débuts, la lutte antidopage a rencontré une forte résistance de la part des cyclistes, qui y voyaient une atteinte insupportable à leur liberté. Aujourd’hui, la donne a changé, et l’on entend quelques professionnels réclamer un Tour de France à l’eau claire. Mais si l’on sonde le peloton, chacun sera certainement d’accord de rouler « propre » s’il est certain que tout le monde observera le même code de conduite. Et c’est là que le bât blesse. Car l’innovation en matière de produits dopants et masquants a souvent une longueur d’avance sur l’efficacité des contrôles. Résultat des courses : la plupart des contrôles sont négatifs alors que les valises des soigneurs et autres accompagnateurs sont pleines.

Mais comment en est-on arrivé là ? Si l’on compare le Tour d’aujourd’hui à celui des débuts, il n’y a aucun doute, c’était beaucoup plus dur avant. Aujourd’hui, les distances sont plus courtes, les vélos deux fois plus légers, les méthodes d’entraînement nettement plus performantes et les possibilités de se soigner « légalement » beaucoup plus étendues. On pourra toujours objecter que certaines étapes de montagne sont inutilement corsées et entament sérieusement la résistance des organismes. C’est sûr. Mais avec un bon entraînement, ça passe sans dopage.

Les raisons du dopage ne doivent donc pas être recherchées dans les épreuves en elles-mêmes, mais dans la compétition mercantile, telle qu’elle est organisée et donnée en spectacle. Alors que de nombreux travailleurs « normaux » ont recours à toutes sortes de substances nocives pour « tenir » au bureau, les sportifs sont confrontés à des injonctions totalement contradictoires : rester clean et gagner. Car sous le feu des projecteurs et des sponsors, l’important n’est pas de participer, mais de gagner. Il n’y a pas de place pour le deuxième. Or, le cyclisme est un des sports qui exige le plus de sacrifices. Ne pas gagner devient alors une épreuve psychologique très difficile à surmonter pour les sportifs.

Ce visage du sport n’est pas du au hasard ni à la fatalité. Il résulte à la fois de la pression financière (le sport est devenu un secteur économique gonflé aux anabolisants médiatiques) et la pression du vedettariat qui s’attache à transformer les sportifs en icônes d’une société hypercompétitive. Cette pression a envahi le sport à tous les niveaux. Rentrez dans un magasin de sport et vous y trouverez toutes sortes de compléments alimentaires, d’acides aminés et autres substances miracles. Une variété impressionnante de moyens est à la disposition des sportifs du dimanche, dans un seul but : la performance. Pourquoi s’étonner dès lors que les « pros » aillent un peu plus loin ?

Dans ce système, dopage et lutte antidopage sont les deux faces d’une même pièce : le dopage est le passage obligé de nombreux sportifs qui veulent atteindre la gloire ou simplement satisfaire leurs sponsors. La lutte antidopage menée par les instances officielles ressemblent plus une complainte hypocrite qu’à une volonté réelle de rendre le sport plus propre. Le but des autorités semble plutôt d’essayer de maintenir un cache-sexe devant le sport professionnel pour qu’il puisse continuer à passionner les foules et à diffuser l’idée d’une « saine compétition » dans l’opinion. Car si l’on est prêt à accepter que c’est forcément le meilleur qui gagne et qu’il y a toujours un arbitre pour punir les tricheurs, on peut aussi accepter ce principe dans la vie. Or, chacun ne naît pas avec les mêmes chances, tout comme le sprinter de 80 kg n’a aucune chance face au grimpeur, dans la montagne.

Ce n’est pas un hasard si la droite nous parle souvent de la valeur du travail, du goût de l’effort cher à la « France qui se lève tôt ». Ce sont autant de bobards qui nous font croire que si on le veut vraiment, si on se bat pour y arriver, on peut sortir de la misère et même devenir riche ou célèbre. Comme dans le sport… Sauf qu’au départ, tout le monde n’est pas égal. Que ce soit dans le sport ou dans la société capitaliste « libérale », il y a des chasses gardées et des barrières invisibles.

L’entraînement acharné ne suffit pas toujours pour arriver au sommet. Tout comme le travail acharné ne permet pas de devenir un grand patron d’industrie. Ceux qui veulent nous le faire croire sont des menteurs. Quand la réalité du dopage éclate à la figure des autorités morales du sport, ils nous ressortent chaque fois la même litanie : « Cette fois, on a compris, ça n’arrivera plus jamais. On va prendre des mesures draconiennes ! ». On entend à peu près le même discours à chaque crise boursière… Le capitalisme financier serait-il dopé lui aussi ?

Pour sortir de ce cycle infernal, il faut changer radicalement de direction. C’est-à-dire mettre un terme au système économique qui régit le sport et qui en a fait un modèle idéologique. Dans une société où la Justice sociale aurait remplacé la compétition de tous contre tous, le sport pourrait avoir un autre visage : celui d’une activité de loisirs avant toute chose. La compétition et le spectacle ne disparaîtraient pas pour autant, mais ils seraient pratiqués dans un esprit fraternel, débarrassé de toute idolâtrie et de tout mercantilisme. Dans une telle société, un vrai débat pourrait avoir lieu sur la place du sport dans notre vie, en tant qu’acteurs ou spectateurs, sur son rôle pour la santé… Autant de questions bien plus importantes que celle de savoir si Rasmussen était en Italie ou au Mexique pour se « préparer ».

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