74 jours après les élections, après cinq semaines de négociations, Leterme a du admettre sa défaite. Ce qui va se passer ensuite n’est toujours pas clair au moment où Alternative Socialiste part à l’impression. La plupart des médias affirment qu’une coalition Orange Bleue continue à avoir la préférence mais les discussions sur des formules alternatives reprennent vigueur.
Anja Deschoemacker
En fait, la classe dirigeante a obtenu le 10 juin un énorme cadeau bien inattendu : pour la première fois en 20 ans, un gouvernement pouvait être formé sans le PS francophone. Reynders avait alors crié victoire et il pensait que son argument – « un gouvernement sans PS est une réforme de l’Etat en soi » – serait assez convaincant pour que le CD&V laisse tomber l’essentiel de ses revendications communautaires.
Et si on regarde les revendications qu’avance l’Union des Classes moyennes flamandes Unizo – au premier rang desquelles figure la régionalisation de la politique du marché de l’emploi – cela aurait pu être le cas. Tout comme les autres organisations patronales, Unizo réclame une « modernisation du marché de l’emploi » (comprenez : un démantèlement des acquis du mouvement ouvrier) mais elle pense l’obtenir plus rapidement au moyen d’une régionalisation accrue. La Flandre pourrait ainsi pousser sur l’accélérateur et approfondir sa réforme du marché de l’emploi, pour pouvoir ensuite mettre encore plus de pression sur la Wallonie. La logique de Reynders est que, débarassé du PS, on pourrait désormais faire cela directement à l’échelle de tout le pays.
Mais les choses ne sont évidemment pas aussi faciles que cela. Car le MR n’est pas nécessairement capable d’imposer les mêmes concessions au mouvement ouvrier que le PS.
Avant les élections, tout le monde s’attendait à ce que le prochain gouvernement soit dominé d’un côté par le CD&V et de l’autre par le PS. Le PS se serait certainement contenté de monnayer son accord à une réforme de l’Etat (bien sûr accompagnée de concessions aux revendications francophones) contre des compensations sociales. Il aurait certainement pu obtenir l’accord du CDH et d’Ecolo et convaincre la FGTB et la CSC d’accepter ce marché.
Le seul scénario auquel les Etats-majors des partis flamands prêts à participer à un gouvernement s’étaient préparés afin de couper plus durement, plus profondément et plus structurellement dans les dépenses sociales était donc une régionalisation accrue – baptisée « responsabilisation ».
Puis sont tombés les résultats des élections… Le CD&V, et Leterme lui-même, avait crié trop fort pour réclamer une réforme de l’Etat pour laisser ensuite cet objectif être réduit à rien ou presque. Aujourd’hui, le blocage est donc profond, avec d’un coté des partis flamands qui ont pris des engagements électoraux fermes et qui doivent obtenir quelque chose – au moins la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, au prix des concessions nécessaires – et de l’autre coté des partis francophones pour qui accepter de grandes concessions communautaires avec le PS dans l’opposition signifie en réalité préparer un suicide politique aux élections régionales de 2009.
Ce n’est pas la première crise communautaire que connaît la Belgique et ce ne sera sans doute pas la dernière non plus. Un compromis sera certainement trouvé – qui sera sans aucun doute très compliqué et très technique – parce tous les partis qui sont représentés au parlement (y compris ceux qui ne sont repris dans aucun scénario de gouvernement, comme le Vlaams Belang et la Liste De Decker) sont convaincus que la politique néolibérale doit être poursuivie.
Le MAS/LSP n’a jamais été un défenseur du royaume unitaire de Belgique, qui n’a d’ailleurs jamais été un Etat au service de la population travailleuse. Nous soutenons les revendications communautaires qui répondent de manière correcte aux problèmes créés par la politique conservatrice de la bourgeoisie belge – comme le droit d’avoir accès réellement à des services dans sa propre langue tant à Bruxelles que dans sa périphérie.
Mais les surenchères communautaires des partis qui ont l’ambition de former un gouvernement et de la soi-disant opposition n’ont rien à voir avec cela. Leur seul objectif est de semer la division parmi les travailleurs dans l’espoir de pouvoir appliquer une politique encore plus dure au service des riches. Pour éliminer l’oppression, quelle soit basée sur la langue ou sur l’origine, les travailleurs ne peuvent avoir aucune confiance dans les politiciens du patronat – qu’ils soient flamands, wallons ou bruxellois – mais seulement en eux-mêmes en s’organisant indépendamment de la bourgeoisie.