Interview de Paul Murphy, parlementaire de l’Anti Austerity Alliance (AAA) et membre du Socialist Party, réalisée par Sascha Stanicic. Cette interview a été publiée dans Lutte Socialiste après être parue dans le journal allemand Junge Welt.
Ces dernières années, l’Irlande a fait figure de bon élève en matière d’austérité. Le niveau de vie de la population en a fortement souffert. Cela n’a toutefois pas été accepté docilement puisque des actions de masse ont fait leur apparition. Une nouvelle taxe sur l’eau décriée a été la goutte qui a fait déborder le vase. Nous en avons parlé avec Paul Murphy, parlementaire nouvellement élu de l’Anti Austerity Alliance (AAA) et membre du Socialist Party.
Une révolte a actuellement lieu en Irlande. En quoi consiste ce mouvement ?
“Ces six dernières années, la population irlandaise a payé le prix fort de l’austérité suite à une crise qu’elle n’avait pas provoquée. À plusieurs reprises, celle-ci a essayé de riposter, mais ces tentatives ont été bloquées par la direction syndicale. Désormais, les choses ont changé. Les directions syndicales ne sont pas entrées en lutte, mais un mouvement organisé par en bas a par contre fini par exploser contre l’instauration d’une taxe sur l’eau et l’installation de compteurs à eau. Derrière ce cas précis, on trouve une colère globale contre les attaques incessantes faites à notre niveau de vie.
“Dans tout le pays, depuis le début de l’automne, des comités d’action contre la taxe sur l’eau ont été créés. Les réunions ont souvent regroupé des centaines de participants. Des habitants s’opposant à l’installation de compteurs à eau ont été arrêtés. Jusqu’ici, il y a eu jusqu’ici trois grandes manifestations nationales réunissant à chaque fois 100.000 participants, ainsi que des mobilisations locales regroupant globalement 150.000 personnes.’’
Les médias ont mené une campagne virulente à ton encontre de même qu’envers d’autres élus du Socialist Party. On te reprochait de justifier les affrontements ou encore de lutter pour un “système soviétique”. D’où vient cette campagne ?
“Un tel mouvement issu de la base constitue une plus grande menace pour l’establishment capitaliste que des mouvements sous contrôle d’une direction syndicale docile. L’explosion de colère s’accompagne d’une large politisation. Les partis de la coalition gouvernementale (le Fine Gael et le parti travailliste) ont perdu la majeure partie de leur soutien. On tente de jeter le discrédit sur les protestations et le Socialist Party en les présentant comme “violents”. L’ancienne rhétorique du “péril rouge” remonte à la surface. Sans effet.
‘‘À l’origine de cette campagne de dénigrement se trouve une action de protestation tenue à Jobstown, un quartier de Dublin qui se situe dans le district électoral qui m’a élu sur une liste de l’Anti Austerity Alliance. Une action de protestation spontanée de 700 riverains a éclaté à l’occasion de la visite de la vice-première ministre Joan Burton. Les manifestants ont bloqué sa voiture deux heures et demie durant. Le fait qu’elle ait été touchée par une bombe à eau n’enlève rien au caractère pacifique de cette action menée par des personnes durement touchées par l’austérité. J’ai participé à cette action et l’establishment en a profité pour attribuer l’incident à AAA et au Socialist Party.’’
Comment ce mouvement peut-il être poursuivi ?
“Suite à la manifestation de masse du 10 décembre, l’État a fait des concessions cosmétiques. Elle fut un bon indicateur pour la poursuite du mouvement, notamment parce qu’elle avait pris place en plein jour ouvrable. Entre 80.000 et 100.000 manifestants se sont retrouvés face au parlement ! Mais il faut maintenant veiller à améliorer l’organisation du mouvement de sorte que les premières factures attendues pour avril ne soient pas payées. Avec le Socialist Party et l’AAA, nous menons campagne sous le nom “We won’t pay” (nous ne payerons pas). Nous sommes les seuls à défendre le non-paiement massif pour stopper la taxe sur l’eau et faire chuter le gouvernement déjà très affaibli. Cela est possible et un boycott massif de la taxe sur l’eau jouerait un grand rôle à ce titre.”
Comment réagit la gauche politique ?
“L’AAA défend l’idée de présenter des candidats issus du mouvement contre la taxe sur l’eau et des forces de gauche aux prochaines élections afin de s’opposer aux partis capitalistes proaustérité. Cela peut être le début de la construction d’une nouvelle gauche qui s’oppose au système.
‘‘Ce mouvement a clarifié que le Sinn Fein (nationalistes ‘‘de gauche’’) est un parti très opportuniste que l’on peut à peine considérer de gauche. Il se déclare contre la taxe sur l’eau, mais n’organise rien pour s’y opposer. Il n’est même pas partisan d’une campagne de boycott parce que cela serait illégal. Ses positions sont, au final, très similaires à celles du parti travailliste lorsque ce dernier était dans l’opposition. Les choses ont changé une fois les travaillistes au pouvoir, et il en sera de même avec le Sinn Fein.
“Toutefois, s’il n’y a pas d’alternative lors des élections, le Sinn Fein pourrait bien profiter de l’atmosphère actuelle. C’est pourquoi la proposition de l’AAA pour avoir des candidats issus du mouvement de masse est si importante. Cela donnerait une voix politique à ce nouveau mouvement issu de la base.”