[INTERVIEW] Grèce : Arrivée de SYRIZA au pouvoir et effondrement des vieux partis

syriza-tsipras-alexis_14-300x186

Les partis de gauche ont échoué à constituer un gouvernement – SYRIZA entre en coalition avec le parti populiste de droite des Grecs Indépendants

Interview d’Andros Payiatsos, membre de Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL), par Niall Mulholland, socialistworld.net.

Quelle importance revêt le résultat des élections grecques?

Ce résultat peut être décrit comme étant historique. Il représente l’effondrement des anciennes forces politiques qui ont régné en maître sur la scène politique grecque des décennies durant et également l’émergence d’une nouvelle formation de gauche, Syriza, qui est parvenue à grimper de 4 à 5% en 2010 pour atteindre les 36,5% de ce 25 janvier sur base d’un programme de gauche favorable à la classe des travailleurs. Il est, de plus, à remarquer que cette performance a su être obtenue en dépit de la campagne d’intimidation massive lancée en Grèce par la classe dirigeante selon laquelle une victoire de Syriza serait synonyme de l’effondrement du pays, de la sortie de l’euro, etc. Malgré tout, cela n’a eu aucun effet, ou alors très limité, sur les masses qui ont voté pour Syriza, particulièrement dans les zones ouvrières des grandes villes, et Syriza a été proche de remporter une majorité absolue.

Le Pasok (le parti traditionnel de la social-démocratie) a vu son soutien électoral réduit à un peu plus de 5%, soit quasiment un tiers du résultat obtenu lors de sa fondation en 1974. Le parti a même été dépassé par le parti néonazi Aube Dorée. Le Pasok a récemment connu une scission orchestrée par Papandreou (l’ex Premier ministre du Pasok) qui a lancé un nouveau parti dans le but de se distancier de l’effondrement du Pasok. Ce nouveau parti, le Mouvement pour le Socialisme Démocratique, n’a toutefois pas été en mesure de faire son entrée au Parlement en ne récoltant que 2,5% des voix alors que le seuil électoral est de 3%.

On trouve dans le pays des éléments d’effondrement social et d’appauvrissement massif. La Grèce a connu un effondrement économique global de 27% de son Produit Intérieur Brut soit, en considérant les choses du point de vue économique uniquement, pire encore que durant l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. On y trouve une pauvreté de masse : les estimations officielles font état de 6,3 millions de personnes sous ou autour du seuil de pauvreté sur une population de 11 millions, ce seuil de pauvreté étant fixé à 450 euros par mois seulement. Le taux de chômage s’élève à 26-27% tandis qu’il se situe autour des 55% pour la jeunesse. Environ 100.000 jeunes ont quitté le pays à la recherche d’un meilleur avenir. Voilà les conditions dans lesquelles le nouveau gouvernement est appelé à trouver des solutions.

Hier, Syriza a annoncé constituer une coalition avec le parti des Grecs Indépendants. Pourquoi Syriza n’a-t-il pas été en mesure de parvenir à un accord avec le Parti communiste grec (KKE)?

Syriza a fait appel au Parti communiste grec (KKE) afin de former un gouvernement réunissant les partis de gauche, mais le KKE a refusé. Il s’agit d’une réflexion du sectarisme général du Parti communiste pour qui le fait qu’il existe des différences idéologiques et politiques suffit à refuser toute forme de collaboration avec toute force de gauche en Grèce. Cette politique est générale et n’est pas spécifique à Syriza. Le KKE a même affirmé qu’il refuserait d’accorder un vote de confiance à un gouvernement Syriza. Ce parti se déclare très fier d’avoir augmenté son vote de 1% par rapport aux élections de juin 2012, ce qui représente environ 50.000 votes. C’est ridicule, parce que le KKE a obtenu 5,5% maintenant et 4,5% en 2012, mais il réunissait encore 11% des suffrages en 1981. La société grecque traverse sa crise la plus dévastatrice depuis des décennies et le KKE se dit fier d’avoir reçu 5,5% de soutien électoral : cette approche est scandaleuse!

Cela a donc ouvert la voie à ce que la direction de Syriza puisse entrer en alliance avec les Grecs Indépendants pour former un nouveau gouvernement de coalition. Il est correct de dire qu’une partie de la direction, son aile la plus à droite, a toujours été favorable à l’option d’un gouvernement de coalition avec les Grecs Indépendants, même sans jamais l’avoir publiquement déclaré, afin de les utiliser comme alibi pour éviter la mise en œuvre de politiques socialistes naturellement exigées par la base du parti et par la classe des travailleurs.

Les Grecs Indépendants est un parti né en 2012 d’une scission populiste de la Nouvelle Démocratie (le parti traditionnel de la droite), lorsque Samaras (le précédent premier ministre, membre de la Nouvelle Démocratie) a effectué un saut périlleux en passant d’une position opposée au Mémorandum (protocole d’accord signé en 2010 entre le gouvernement grec et les autorités européennes) à la conclusion d’un nouveau protocole à la première minute où il s’est retrouvé à la tête du gouvernement (le Mémorandum II de mars 2012), et donc en accord avec la troïka afin d’appliquer de sévères mesures d’austérité. [La «troïka» est le terme désignant l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, trois organisations chargées de superviser la mise en place des mesures d’austérité par le gouvernement grec suite aux prêts d’urgence accordés à la Grèce par le FMI et d’autres gouvernements européens à des conditions drastiques, NDT]

Les Grecs Indépendants proviennent à l’origine de la droite du parti. Ils n’ont aucune relation avec la classe des travailleurs ou avec l’application de politiques de gauche. Ils soutiennent la domination des marchés et le système capitaliste. Ils n’appellent pas à la sortie de l’Union européenne ou de la zone euro, mais sont opposés au Mémorandum et à l’austérité. Ils ont un caractère légèrement nationaliste (ils se décrivent comme «patriotiques»). Ils ne s’opposent ni à l’UE, ni à la zone euro, mais ils pourraient être disposés à aller dans cette direction en cas de conflit sérieux avec la Troïka.

Cette force politique ne représente en aucun cas un allié durable dans une coalition avec Syriza. Cela signifie que le nouveau gouvernement de coalition sera instable, car il se base sur des forces qui représentent des camps opposés.

A l’étranger, la réaction de la gauche et des travailleurs face à la victoire de Syriza a été très enthousiaste. Comment les choses se sont-elles passées en Grèce ?

La progression de Syriza a pu compter sur un écho enthousiasme des masses à l’échelle internationale. Elle semble agir comme un catalyseur dans le cadre des formations de gauche et des mouvements sociaux afin qu’ils aillent à la contre-offensive. Le potentiel est présent pour ce faire.

Les choses sont différentes en Grèce. La meilleure façon de décrire la situation pour la masse des travailleurs et des jeunes, c’est qu’ils ont poussé un grand soupir de soulagement à la publication des résultats des élections, sans qu’il n’y ait de sauvage jubilation. Syriza a mis «trop d’eau dans son vin», le parti a trop édulcoré son programme, tout particulièrement dans la période la plus récente. Le «programme» est devenu extrêmement flou et imprécis.

Les travailleurs estiment que les choses ne sauraient être aussi mauvaises qu’avant. Pour eux, très clairement, il faut mettre un terme à ces attaques antisociales barbares lancées par le gouvernement et la troïka. Ils ont donc voté en masse pour Syriza, tout en restant très sceptiques quant à ce que l’avenir apportera. On peut trouver une expression de ce constat dans le fait que les célébrations au centre d’Athènes le soir des élections ont attiré environ 5000 personnes. Ce n’est pas même la moitié des membres de Syriza à Athènes… Les travailleurs sont modérés et certains sont même sceptiques quant à la victoire de Syriza. Reste qu’ils sont très heureux d’avoir punis le Pasok et la Nouvelle Démocratie, les principaux partis pro-troïka.

Aube Dorée a réussi à maintenir son vote en dépit de la répression de l’État, y compris l’emprisonnement de plusieurs de ses dirigeants. Cela doit-il être source de préoccupation pour la gauche ? Aube Dorée pourrait-il utiliser la prochaine période pour essayer de se reconstruire?

Cela est très préoccupant. Tous les partis de masse de gauche tendent à sous-estimer le danger du néofascisme, mais Aube Dorée a démontré disposer d’un noyau dur électoral significatif de centaines de milliers de personnes. C’est maintenant une organisation ouvertement nazie et clairement meurtrière. Malgré cela, Aube Dorée a été en mesure de maintenir un vote similaire à celui de 2012. Cela signifie que le danger du néofascisme reviendra au premier plan à l’avenir, en particulier si un gouvernement dirigé par Syriza échoue. Les travailleurs, les classes moyennes et la gauche doivent être préparés à cela.

Pendant la campagne électorale, Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) n’a pas été en mesure de conclure un accord avec Syriza concernant la présentation de candidats mais a cependant tout de même mené campagne lors de ces élections. Comment cela s’est-il passé?

Nous avons connu une très bonne campagne, en particulier en tenant compte du fait qu’il n’y avait que 11 jours de campagne en raison des conditions particulières dans lesquelles ces élections ont eu lieu. Elles ont été annoncées tout à coup par le gouvernement sortant, puis Syriza et tous les autres partis ont passé plus de deux semaines à décider des listes de candidats. La direction de Syriza a refusé les candidats que nous avons proposé parce qu’elle savait que nous aurions des députés élus et que cela aurait été un pôle d’opposition de gauche au sein de Syriza et vers l’extérieur.

Néanmoins, la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière est très bien sortie de ces élections en dépit du refus de Syriza de permettre à nos camarades d’être présents sur ses listes. Ce recul a été rapidement surmonté parce que les camarades de Xekinima ont compris que ce qui était nécessaire pour la société et la classe ouvrière était une victoire pour Syriza. Nous avons mené une campagne très forte en distribuant quasiment 9.000 tracts quotidiennement et en vendant près de 250 journaux de notre organisation chaque jour. Nous sommes entrés en contact avec de nombreuses personnes et nous prévoyons d’organiser des réunions de section ouvertes dans différents quartiers au cours de ces prochaines semaines, car il n’était pas possible de les tenir durant la campagne électorale.

Que pensez-vous qu’il va se passer avec les discussions entre le nouveau gouvernement grec et la troïka et, en particulier, le gouvernement allemand de la chancelière Angela Merkel? Il est estimé que Merkel pourrait adopter une ligne dure et, malgré les souhaits de Tsipras, que cela pourrait conduire à un défaut de paiement de la Grèce. Mais d’autres spéculations affirment que, sous la pression de préserver la zone euro, la Troïka et Merkel vont tenter de renégocier la dette de la Grèce, non pas pour l’annuler, mais pour en rééchelonner le remboursement.

C’est une question cruciale. Il est clair que les deux parties veulent négocier et parvenir à un compromis. La direction de Syriza veut très clairement un compromis. Merkel semble être prête à une sorte de compromis. Le cas échéant, ils savent que cela pourrait provoquer une réaction en chaîne et une crise majeure de la zone euro. Mais la question est de savoir s’il est possible de parvenir à un compromis. Merkel pourrait être prête, je suppose, à accorder quelques concessions. Il pourrait notamment être question de parler d’une prolongation du remboursement de la dette, ce qui signifierait une certaine diminution de cette charge sur budget de l’Etat grec sur base annuelle.

Mais, d’autre part, vis-à-vis des travailleurs, Syriza devra concrétiser au minimum quelques revendications telles que les suivantes: le retour du salaire minimum à son niveau d’avant la crise, accorder des avantages sociaux aux couches complètement opprimées de la société qui ne sont pas en mesure de survivre ou de faire face à leurs besoins quotidiens (nourriture, électricité, etc.),… Ils doivent viser à rétablir les relations de travail qui ont été complètement déréglementé. Ils doivent restaurer la législation du travail, puisque tout a totalement été dérégulé. Ils doivent mettre fin aux conditions de travail d’esclave qui sont devenues pratique courante dans le secteur privé : des travailleurs se voient obligés de travailler jusqu’à 12 heures par jour, sept jours par semaine, sans même avoir de rémunération de leurs heures supplémentaires. Ils doivent se débarrasser des mines d’or en Chalcidique (Halkidiki), au Nord du pays, qui représentent un énorme problème environnemental. Ils doivent réintégrer dans leur emploi les travailleurs de l’ERT, le radiodiffuseur national, etc.

Ces choses, Syriza ne peut pas se permettre de ne pas essayer de les obtenir. Ces revendications sont considérées par la société, par les électeurs et la base de Syriza, comme basiques et immédiates à obtenir! Si Syriza ne fait rien à ce sujet au cours de la première période de son gouvernement, cela se traduira immédiatement par une crise majeure au sein de Syriza. Syriza sera donc forcé de se positionner dans le sens de la réalisation de ces mesures.

Mais ces mesures ont beau être basiques pour résoudre la crise humanitaire qui sévit actuellement en Grèce, elles mettraient en miette le programme appliqué par la troïka au cours de ces quatre dernières années. La question est donc la suivante : la classe dirigeante allemande serait-elle prête à consentir à ce genre de compromis? Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela est douteux. Par conséquent, même s’il ne peut y avoir aucune certitude quant à ce que deviendra l’équilibre des forces après ces négociations entre la Grèce et la Troïka, je crois que la question du défaut de paiement reviendra avec force sur la table.

Pour Xekinima, si la Grèce se retrouve en défaut et hors de la zone euro, un gouvernement de gauche devrait immédiatement introduire le contrôle étatique des capitaux et du crédit ainsi que le monopole étatique sur le commerce extérieur, dans le cadre d’un vaste programme de mesures d’urgence qui doit de toute façon être appliqué dès aujourd’hui, avec la nationalisation des banques et des secteurs clés de l’économie, l’introduction du contrôle et de la gestion par les travailleurs, la planification démocratique de l’économie, etc. pour faire face à la crise, protéger les travailleurs et leurs droits et transformer la société selon une orientation socialiste.

Quel sera le rôle de Xekinima dans la période à venir?

La direction de Syriza utilisera les Grecs Indépendants comme alibi pour ne pas appliquer les politiques pro-travailleurs et socialistes pourtant nécessaires. Nous devons exiger l’application d’un programme cohérent et favorable à la classe des travailleurs, même au prix d’une crise gouvernementale et de l’organisation d’élections anticipées. Le rôle principal que nous avons à jouer, de concert avec d’autres forces de gauche est de faire campagne pour l’instauration de politiques socialistes favorables aux travailleurs, en collaboration avec de grandes sections de la base de gauche de Syriza.

Je pense qu’un des effets majeurs de ce gouvernement sur la société, dans un premier temps, sera de fournir un nouveau souffle à la classe ouvrière et aux mouvements sociaux pour passer à la contre-offensive. En d’autres termes, les travailleurs doivent se mobiliser pour exiger de reprendre ce qu’ils ont perdu au cours de ces dernières années. Dans cette situation, le gouvernement Syriza pourrait être poussé vers la gauche et même appliquer des mesures allant bien au-delà de ce que la direction de Syriza prévoit actuellement. Notre tâche essentielle est de faire tout ce qui est en notre possible pour aider à construire et à renforcer le pouvoir et l’action indépendante de la classe des travailleurs. Cela sera déterminé par le caractère de la lutte de classe qui aura cours dans la période qui nous fait face.

La seule solution de sortie de crise réside dans l’application de politiques socialistes et d’un programme socialiste. Tout gouvernement qui refuse de considérer ces mesures finira en crise. Nous appelons par exemple Syriza à répudier la dette publique, à introduire un salaire et une pension de base décents, à investir massivement dans le bien-être, les soins de santé et l’enseignement. Un programme socialiste implique également de placer sous propriété publique les grandes sociétés sous contrôle et gestion démocratiques de la classe ouvrière, dans l’intérêt de la majorité de la population.

La réaction extrêmement positive exprimée dans le monde entier à la nouvelle des résultats de Syriza illustre que la classe des travailleurs grecque dispose de millions d’alliés parmi la classe ouvrière européenne et mondiale. Un programme socialiste appliqué par un gouvernement de gauche susciterait un écho encore plus puissant à travers l’Europe. L’exemple grec frapperait partout les imaginations et poserait les bases de la lutte pour une confédération socialiste européenne, sur base libre et égale.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai