Allemagne : Qu'y a-t-il derrière les manifestations anti-immigrés PEGIDA ?

Les syndicats et la gauche doivent s’organiser contre le racisme et pour des conditions de vie décentes pour tous !

Ces dernières semaines, les manifestations ont été croissantes en Allemagne en faveur ou contre Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, en allemand : Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, dont l’abréviation est PEGIDA). Ce mouvement a commencé en octobre dernier, dans la ville de Dresde, en Saxe, à l’Est de l’Allemagne. Pegida a gagné de l’élan et ses « manifestations du lundi » hebdomadaires à Dresde sont passées de mobilisations fortes de quelques centaines de personnes (le 20 octobre) à plusieurs milliers juste avant le Nouvel An.

Wolfram Klein, SAV (section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL)

Des manifestations similaires ont eu lieu, à bien plus petite échelle, dans d’autres villes du pays, mais il y a surtout eu l’émergence d’une vague de contre-manifestations bien plus puissante avec jusqu’à 35.000 participants.

Selon les rapports qu’en ont livré les médias allemands, le 12 janvier, un peu plus de 30.000 personnes ont participé à des manifestations Pegida dans diverses villes d’Allemagne alors que défilaient plus de 100.000 manifestants anti-Pegida. Le plus grand rassemblement de Pediga a pris place à Dresde, avec 25.000 personnes, mais à Leipzig, une autre ville saxonne distante de Dresde de 115 km, 4.800 manifestants Pegida ont fait face à 30.000 contre-manifestants.

Les “manifestations du lundi”

Les manifestations Pegida ont commencé par une mobilisation essentiellement effectuée via les médias sociaux pour des « manifestations du lundi », en référence à la tradition de la révolution qui a commencé à l’automne 1989 dans l’Allemagne de l’Est stalinienne. Des « manifestations du lundi » avaient alors commencé à Leipzig, le mouvement devenant ensuite rapidement massif et répandu à travers toute l’Allemagne de l’Est. Ces mobilisations ont joué un grand rôle dans le renversement du régime stalinien. Ce mouvement, qui a commencé comme une révolution politique exigeant des droits démocratiques et opposé à l’élite bureaucratique stalinienne, s’est terminé par la restauration du capitalisme. En 1990, la classe dirigeante allemande a saisi l’occasion pour réunifier le pays sur base du système en vigueur à l’Ouest.

Depuis lors, cette tradition de protestation a été ravivée à plusieurs reprises. En 1991, des manifestations de masse ont pris place les lundis contre les pertes d’emplois monumentales en Allemagne de l’Est qui accompagnaient la privatisation de l’ancienne économie planifiée. En 2004, des manifestations du lundi ont pris à nouveau leur envol à l’Est du pays (également à l’Ouest, mais de façon plus limitée) contre l’introduction de mesures d’austérité (les fameuses «lois Hartz»). Au printemps 2014 encore, de plus petites « veillées du lundi pour la paix » ont été organisées. Dans de nombreux cas, elles combinaient une opposition à l’attitude agressive de l’impérialisme occidental dans le cadre du conflit ukrainien avec des idées confuses et réactionnaires (théories conspirationnistes, soutien à Poutine, etc.)

Pegida prétend se situer dans la lignée de cette tradition. Ils utilisent des slogans issus de 1989 (en particulier « Nous sommes le peuple »), mais en y accolant un caractère totalement réactionnaire.

Lutz Bachmann, le principal organisateur des manifestations Pegida, a un volumineux casier judiciaire qui compile agression, cambriolage, vol, possession de drogues illicites, etc. En 1998, il a fui en Afrique du Sud afin d’éviter une peine de prison, mais a ensuite été expulsé vers l’Allemagne. C’est cet homme qui veut maintenant inciter à la haine contre les étrangers prétendument « criminels ».

Il explique que son appel à ces manifestation fait suite à son opposition à une manifestation du peuple kurde en octobre 2014. Cette manifestation était une démonstration de solidarité avec la ville syrienne de Kobané, qui résiste à l’Etat Islamique (Daesh). Ce mouvement qui s’affiche anti-islamisation a donc initialement été motivé par la haine contre ceux-là mêmes qui sont les combattants les plus déterminés contre l’islam politique réactionnaire…

La peur de « l’islamisation » est de toute façon profondément irrationnelle. Seuls 5% environ de la population allemande sont des musulmans. Les démographes parlent d’une hausse de ce chiffre jusqu’à 7% en 2030. En Saxe, on trouve moins d’1% de musulmans. D’autre part, en Allemagne de l’Est, il ne subsiste plus de forte tradition chrétienne. Plus de 75% de la population saxonne ne sont affiliés à aucune religion, selon un recensement de 2011. Il est donc totalement faux d’invoquer la tradition de l’Occident judéo-chrétien comme le fait le porte-parole de Pegida. De plus, une grande partie de la véritable histoire du christianisme organisé en Europe a été marquée par un anti-judaïsme vicieux.

Mais de telles distorsions de l’Histoire illustrent surtout que Pegida tente d’éviter les étiquettes traditionnelles de l’extrême droite, comme l’antisémitisme. Dans leur liste de revendications initiale, ils affirment être en faveur du droit d’asile pour les personnes persécutées ou fuyant la guerre. Les organisateurs de Pegida prétendent qu’ils sont seulement opposés aux réfugiés économiques, aux criminels et ainsi de suite. Mais tous les rapports de ces manifestations du lundi indiquent clairement que ces allégations ne sont que du camouflage.

Des petits-bourgeois désespérés et en colère

Comment expliquer un tel mouvement de masse irrationnel ? Beaucoup de ceux qui protestent à Dresde sont issus de la classe moyenne. Il s’agit typiquement d’un mouvement de la classe moyenne craignant sa déchéance sociale. Au début des années ’90, beaucoup de gens ont perdu leur emploi après la restauration du capitalisme en Allemagne de l’Est. Parmi eux, une certaine couche a essayé de devenir indépendants : artisans, professions libérales, etc. Ils ont travaillé dur pour joindre les deux bouts et ont peur que leur situation économique s’aggrave et qu’ils connaissent la faillite. La situation économique en Allemagne reste meilleure qu’ailleurs en Europe, mais la croissance économique fut très maigre ces dernières années.

D’autre part, certains peuvent facilement avoir l’impression que l’Allemagne est un îlot de stabilité isolé dans un océan de crise et menacé d’être submergé par les eaux. La crainte du déclin social individuel se combine donc à la crainte du déclin social collectif de l’Allemagne. Pour ceux qui ne considèrent pas que la solution réside dans la lutte de classe et dans la défense d’une alternative socialiste contre la crise du capitalisme, il semble naturel de voir le nationalisme comme un moyen de protéger de l’île « Allemagne » contre les crises qui l’entourent. C’est d’autant plus le cas avec l’utilisation du nationalisme et du racisme par les médias et les politiciens capitalistes dans leur logique de diviser pour régner.

À la fin des années ’80 et au début des années ’90, une grande campagne de propagande avait pris pour cible les demandeurs d’asile. Et depuis les attentats du 11 septembre 2001, les musulmans sont dépeints comme étant violents et arriérés. Les tabloïds publient des rapports ridicules au sujet de la déchristianisation et de l’islamisation: des « marchés de Noël » qui seraient renommés « marchés d’Hiver », des chants musulmans qui feraient leur apparition aux messes de Noël et ainsi de suite. Depuis 2010, les médias et les politiciens capitalistes allemands ont également attisé les préjugés contre les «paresseux» du Sud de l’Europe (en particulier contre les Grecs).

Il y a deux ans, un nouveau parti a été fondé : l’AFD (Alliance pour l’Allemagne). Son caractère est encore flou puisqu’il s’agit d’un nouveau parti, mais on trouve en son sein des tendances populistes de droite et conservatrices. Son thème de campagne initial était la crise de l’euro et la revendication que l’Allemagne quitte la zone euro mais pas l’Union. Depuis lors, l’AFD s’est prononcées sur d’autres questions. Aux élections générales de 2013, l’AFD a raté de peu le seuil des 5% pour faire son entrée au Parlement. Mais depuis lors, des élus ont été obtenus au Parlement européen ainsi qu’aux trois parlements régionaux d’Allemagne de l’Est (notamment en Saxe).

Au cours des onze premiers mois de 2014, en conséquence notamment de la guerre civile en Syrie, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 55%. En plusieurs endroits, de nouveaux centres d’accueil ont été ouverts. Dans la plupart des cas, des fascistes et autres racistes ont organisé des protestations contre ces nouveaux refuges. Les attaques contre les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ont triplé en Saxe durant l’année 2014.

Un facteur important à considérer est le sentiment de n’être pas représenté au sommet de la société pour les habitants des régions de l’Est. Comme l’a déclaré le président du Conseil des migrations, de nombreux Allemands de l’Est « estiment qu’ils n’ont pas de voix ». La classe dirigeante est massivement d’Allemagne de l’Ouest en dépit du fait que les deux postes officiels les plus élevés dans la structure politique formelle – le président et la chancelière – sont actuellement détenus par des Allemands de l’Est.

Malheureusement, Die Linke (le parti de gauche), en dépit de sa forte base électorale à l’Est, n’a pas été en mesure de mener des campagnes soutenues offrant des perspectives. C’est une des raisons pour lesquelles les résultats électoraux ont montré que le terrain était fertile pour les idées d’extrême droite à Dresde. Aux élections locales de mai 2014, 18.341 personnes (soit 2,8%) y ont voté pour le parti d’extrême droite NPD, tandis que 46.309 personnes (soit 7%) ont voté pour l’AFD.

Une des raisons qui expliquent ces idées racistes en Allemagne de l’Est est le faible pourcentage d’immigrés, qui signifie que de nombreux habitants n’ont guère d’expérience personnelle avec des personnes d’origine étrangère. Leur vision des choses est profondément façonnée par les idées racistes propagées par les tabloïds et les autres médias de masse.

Certains commentateurs pro-establishment sont irrités du fait que les manifestations à Dresde vont au-delà des habituels militants d’extrême droite. Ils affirment que de nombreux manifestants sont issu « du coeur de la société ». C’est vrai. Mais le racisme, la xénophobie et l’islamophobie sont très répandus dans ce « coeur de la société », en particulier chez la classe moyenne.

Il serait toutefois erroné de considérer la montée de Pegida comme inévitable. Les petits-bourgeois ne sont pas automatiquement des réactionnaires racistes. En réalité, beaucoup parmi ceux qui ont participé aux contre-manifestations vivent dans des circonstances économiques et sociales similaires. Si le mouvement des travailleurs offrait une solution à la crise du capitalisme, il rallierait à lui de larges couches de la classe moyenne. Malheureusement, le niveau de lutte de classe a été faible en Allemagne ces dernières années. Die Linke n’offre pas non plus d’alternative claire.

En Saxe, Die Linke est dominé par son aile droite. A Dresde, la majorité des conseillers municipaux du parti ont même voté pour la vente des 48.000 logements sociaux de la ville en 2006. Cela a conduit à une scission entre conseillers du parti, mais cela a discrédité Die Linke dans son ensemble. Les forces de gauche et antifascistes auraient pu étouffer le développement de Pegida s’ils avaient mobilisé des contre-manifestations tant que Pegida était encore un petit mouvement. Mais cette occasion a été manquée.

Ailleurs qu’à Dresde

Dans le reste de l’Allemagne, les antifascistes ont tirer la leçon de cette erreur. Depuis décembre, plusieurs tentatives d’imiter Pegida dans d’autres endroits ont été faites. Dans la plupart des cas, les organisateurs étaient d’organisations populistes de droite ou d’extrême droite. Ces mobilisations étaient limitées (tout comme les premières manifestation de Pegida à Dresde) mais elles ont directement été contrées par des contre-manifestations. Souvent, des blocages de milliers de personnes ont empêché ces manifestations d’arriver à destination, comme à Cologne et à Berlin le 5 janvier 2015. Les membres d’Alternative Socialsite (SAV, section allemande du CIO) ont dès le début participé à ces manifestations.

La position adoptée par la classe dirigeante est contradictoire. Elle est intéressée par le maintien de son arme de diviser pour régner et ainsi susciter l’islamophobie et le racisme pour détourner l’attention des vrais problèmes quand elle l’estime nécessaire. Mais, à l’heure actuelle, elle est totalement opposée au développement d’un mouvement raciste comme Pegida, qui peut introduire des éléments d’instabilité et devenir hors de contrôle. Il peut dissuader des touristes étrangers et des travailleurs qualifiés de venir en Allemagne, alors que le capitalisme allemand veut faire face à sa population déclinante. Malgré la récente immigration élevée, la population du pays a tout de même diminué de plus d’un million de personnes depuis 2008. Les employeurs soulignent leur besoin d’importer des travailleurs, même si cela peut encore vite changer dès lors que l’économie allemande entre en récession. Dans une situation où les salaires ont été diminués depuis des années et alors que les loyers s’envolent dans certaines villes tandis que d’autres régions du pays (en particulier à l’Est) souffrent du dépeuplement, les appels des employeurs pour des travailleurs immigrés peuvent donner lieu à un certain ressentiment.

Les principaux politiciens capitalistes ont peur de perdre des voix au profit de l’AFD si ce parti est renforcée par Pegida. Les médias et les politiciens capitalistes appellent donc à des contre-manifestations contre Pegida (mais pas au blocage de leurs marches). Leur position est contradictoire. D’un côté, ils aident à mobiliser comme pour les 35.000 personnes qui ont manifesté contre Pegida à Dresde le 10 janvier 2015. de l’autre, ils ne sont pas crédibles en attaquant Pegida puisqu’ils participent aux expulsions de demandeurs d’asile et partagent la responsabilité du véritable charnier pour réfugiés qu’est devenue la Mer Méditerranée. Ils divisent les immigrés entre «bons» (les travailleurs qualifiés dont a besoin le capitalisme allemand) et «mauvais» (le reste).

Lors des manifestations anti-Pediga, les membres du SAV ont dénoncé toute cette hypocrisie. La plupart des appels lors de ces mobilisations sont principalement basé sur le moralisme, sur la tolérance, la diversité,… Ces appels ne peuvent convaincre que des convaincus. Le moralisme est totalement incapable de répondre au sentiment d’insécurité (conséquence des nombreuses crises du capitalisme) et aux préjugés racistes qui se combinent dans les manifestations Pegida. Si le mouvement anti-Pegida n’est pas en mesure de répondre à ces préoccupations réelles, alors une nouvelle crise économique, de nouvelles guerres ou des attaques terroristes comme cela a eu lieu à Paris fourniront de nouvelles recrues à Pegida.

Après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo

Les islamophobes de Pegida affirment que leur action a reçu une justification avec les attaques terroristes de la semaine dernière à Paris. Ils ont annoncé qu’ils allaient utiliser leur manifestation du lundi 12 janvier comme une « marches commémoratives » en hommage aux victimes. Il s’agit d’une nouvelle preuve d’hypocrisie puisque Charlie Hebdo est attaqué par les homologues français de Pegida. En fait, les organisateurs de Pegida et les fanatiques de l’islam politique réactionnaire ont beaucoup en commun. Ils ignorent les antagonismes de classe et propagent à la place l’idée d’un «choc des cultures». Tous deux haïssent la gauche, le mouvement organisé des travailleurs et les droits démocratiques.

Après les attaques terroristes commises à Paris, les défenseurs des idées du socialisme ont insisté sur la nécessité de défendre le droit et la liberté d’expression. Certains pourraient considérer les blocages contre les manifestations Pegida comme contraires à cette position politique. Mais ces marches ne sont aucunement une application de la liberté d’expression. Au cours de ces dernières semaines, la violence fasciste contre les immigrés et les militants de gauche a augmenté. Les succès de Pegida encouragent cette violence. Les mobilisations visant à décourager cette tendance, y compris par des blocages de masse, sont tout à fait légitimes.

Les revendications du SAV

En décembre dernier, le SAV a décidé de placer en priorité de son travail les thèmes de la guerre, des réfugiés et du racisme.

Après les grandes manifestations anti-Pegida du 5 janvier, nous avons produit une édition spéciale de notre journal avec une série d’arguments contre Pegida et des propositions destinées à aider à la construction du mouvement anti-Pediga. Le racisme n’est pas seulement orienté contre les immigrés, il sert à diviser et affaiblir la classe des travailleurs. Nous appelons les syndicats et Die Linke à organiser une campagne d’information contre le racisme et Pegida avec distribution de tracts sur les lieux de travail et dans les quartiers et organisations de rassemblements de masse et d’une manifestation nationale.

Nous appelons à une lutte commune des travailleurs allemands et immigrés, avec et sans emploi, pour défendre un enseignement de qualité, une meilleure protection sociale ainsi que l’accès de chacun à de bons logements et à des emplois décents. Nous dénonçons aussi le racisme d’Etat et l’Europe-Forteresse, les exportations d’armes et les déploiements de l’armée allemande à l’étranger. Tout cela culmine à la revendication de la nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des banques et des secteurs-clés de l’économie dans le cadre d’une économie démocratiquement planifiée et respectueuse de l’environnement et d’une démocratie socialiste mondiale.

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