La deuxième journée de grèves régionales a confirmé la puissance d’un plan d’action avec un calendrier constructif et allant crescendo. La semaine dernière, dans le Hainaut, la grève régionale a touché neuf travailleurs sur dix dans les entreprises et les services. La performance est solide, même selon les normes wallonnes. La province d’Anvers n’était cependant pas restée en arrière : le port était notamment complètement à l’arrêt. Dans le Limbourg et le Luxembourg, le rendez-vous a là aussi donné lieu à des participations historiques. La question était de savoir si la deuxième journée de grèves régionales confirmerait cette tendance. La réponse est oui, clairement, tant à Liège, où l’aéroport était complètement paralysé, qu’à Namur mais aussi en Flandres Occidentale et Orientale. Selon les syndicats, en Flandre Orientale, au moins 8000 militants ont participé à 500 piquets de grève. Pour la première fois de son histoire, le port de Gand était complètement à l’arrêt. Grâce à la préparation de la grève de la part des cheminots, les mouvements régionaux ont également eu des répercutions ailleurs dans le pays.
Sans émeutes ni déclarations matamoresques de patrons ou de bourgmestres excités, l’intérêt médiatique a baissé pour cette deuxième journée de grèves régionales, qui a même parfois été reléguée aux pages intérieures de la presse écrite. Pour le reste, l’attention a souvent été accordée non pas à la résistance de la base mais à son impact sur les transports publics. Mais si ce gouvernement des riches pensait que la colère allait s’éteindre ou que le froid aurait raison des grévistes, cette journée du 1er décembre a constitué une réponse des plus vigoureuses. Ces grèves régionales n’ont en rien été indicatives d’un affaiblissement de la résistance sociale. Bien au contraire : le succès de la manifestation du 6 et de la première journée de grèves régionales a renforcé l’ampleur de la seconde journée. Cela promet pour lundi prochain, à Bruxelles et dans les deux provinces brabançonnes !
Et le 8 décembre ne sera encore qu’un tremplin vers la grève générale nationale du 15 décembre. Ce sera peut-être la plus grande journée de grève générale de l’histoire belge, avec plus d’un million de grévistes. Nous sommes très clairement dans une phase ascendante du mouvement.
Sur une multitude de piquets, le nombre de jeunes travailleurs était remarquable. Beaucoup parmi eux faisaient pour la première fois connaissance avec l’arme de la grève. Sur de nombreux zonings industriels, des méthodes ont fait leur apparition là où elles n’avaient encore jamais été éprouvées. Au site Ghelamco, à Gand, un piquet commun a été tenu avec le personnel de l’entreprise Ivago (gestion des déchets des entreprises chimiques) mais aussi avec celui du supermarché Albert Heijn. Au port de Gand, les piquets étaient nombreux, et les dockers ont bloqué la route aux côtés des travailleurs de Volvo ou de Honda. L’action menée en commun par delà les frontières des entreprises constitue un élément qui renforce le mouvement. Le port de Zeebrugge était bloqué de la même manière. A Liège et à Namur, les piquets furent aussi des succès, les grandes entreprises étaient à l’arrêt et la volonté d’agir était grande parmi les grévistes.
Si certaines petites entreprises n’ont pas été touchées par la grève, ce fut souvent en raison de l’absence de représentation syndicale. Lorsque les autorités européennes parlent d’austérité, les autorités belges se dépêchent de répondre aux injonctions. Mais lorsqu’elles critiquent la Belgique pour la représentation syndicale dans les PME de vingt employés, là, le gouvernement estime visiblement qu’il peut passer au dessus des recommandations européennes. A cela s’ajoute l’abus excessif de contrats temporaires et précaires pour les travailleurs qui, avec la dictature de nombreux petits employeurs sur les lieux de travail, explique qu’il existe du personnel «prêt à travailler ». Les fédérations patronales flamandes Voka et Unizo affirment que 80% des entreprises n’ont pas été touchées par la grève. Cela peut être vrai, mais ils ne disent pas que 60% de ces entreprises n’emploient qu’une seule personne et que 80% d’entre elles emploient moins de 10 travailleurs! Tout cela pris ensemble ne représente que 20% de tous les travailleurs.
Banderole du comité de solidarité avec la grève de l’ESASUne des caractéristiques exceptionnelles de cette deuxième journée de grèves régionales fut la solidarité de la jeunesse. Pour les étudiants du secondaire, le timing était très difficile puisque nombre d’entre eux sont sur le point de commencer leurs examens. Certains ont néanmoins décidé de soutenir les piquets, comme à l’Athénée de Voskenslaan à Gand. Au campus Blandijn, un groupe d’étudiants s’est aussi réuni pour montrer sa solidarité avec la grève. A Namur, la FEF, l’AGE, les Jeunes CSC et Jeunes FGTB ont tenu une assemblée à l’université pour inciter les étudiants à participer à al grève générale du 15 décembre. A Liège, des étudiants étaient réuni en piquet à l’université, mais il y a aussi eu ce groupe d’étudiants de l’ESAS (Ecole Supérieure d’Action Sociale) qui a constitué un comité de soutien à la grève il y a quelques temps déjà et qui a été faire la tournée des piquets avec une banderole sur laquelle était inscrit : « (Futurs) travailleurs, luttons contre l’austérité ». A Liège toujours, un appel de l’Alliance pour des Alternative à l’Austérité et du réseau Stop Article 63§2 a réuni plus de 300 personnes pour une manifestation qui est partie du siège du PS vers celui du MR. Parmi eux, la jeunesse était présente en nombre. Ce n’est plus seulement de la solidarité : la jeunesse (re)découvre le mouvement syndical et prend sa place dans le mouvement. Le mouvement des travailleurs, s’il est assez offensif,peut attirer à lui d’autres couches que celles qui lui sont naturellement liées. Nous avions déjà vu le secteur culturel participer au mouvement, comme le 6 novembre ou lors de la journée du 24 novembre avec la campagne Hart boven Hard (le coeur contre la rigueur) à Anvers. Cela a été confirmé par les activités de la jeunesse ce 1er décembre.
Le gouvernement a tremblé sur ses bases, mais il reste sourd et aveugle à la résistance sociale croissante. Les partis gouvernementaux ne savent que trop bien ce qui est en jeu. Richard Miller, du Centre Jean Gol (le centre d’étude du MR) a déclaré dans les pages du Soir que cette grève est « politique et anti-démocratique » parce que le mouvement vise à « déstabiliser le gouvernement Michel et donc l’Etat ». Sur les piquets, le sentiment que ce gouvernement doit être balayé était bien vivace. Voilà l’objectif du mouvement et le gouvernement en est bien conscient. Les politiciens établis n’ont toutefois bien évidemment pas expliqué ce qu’ils considèrent comme antidémocratique dans ces actions menées par la base syndicale. Comme si le suffrage universel lui-même n’avait pas été arraché par ces méthodes prétendument « antidémocratiques ». Sans grève, il n’y aurait pas d’ajout de démocratie par la base de la société pour corriger le semblant de démocratie du sommet de celle-ci, qui favorise celui qui peut s’offrir la campagne publicitaire la plus chère. Le fait que c’est justement un membre du MR qui sort cet argument de la démocratie est des plus cyniques : ce gouvernement ne dispose même pas d’une majorité au parlement du côté francophone, ne parlons même pas encore de la rue.
La pression monte. Même des électeurs des partis aujourd’hui au gouvernement ont participé aux actions. Ils ont réalisé que le fameux changement qu’on leur promettait n’est pas en leur faveur. Mais ce gouvernement n’a pas l’intention de faire un pas de côté. Il peut recourir à l’opinion publique tant qu’elle est en sa faveur, mais son véritable patron, ce n’est pas l’électorat, c’est le patronat. Dans le cas de De Wever, c’est la fédération patronale flamande Voka.
Sur les piquets, il était clair qu’il faudra continuer après le 15 décembre. La volonté est là et ce mouvement ne pourra pas être stoppé aisément. « Une fois que les vacances seront finies, nous sommes toujours parfaitement déterminés pour, si nécessaire, pousser ce gouvernement jusqu’à nos livres d’histoire,» a ainsi déclaré un écolier de Gand dans les médias. Il est loin d’être le seul à penser ainsi.
Aller plus loin exigera un nouveau plan d’action, plus dur et réunissant plus de monde, avec à nouveau des grèves régionales ou sectorielles aboutissant à une grève générale, cette fois-ci d’au moins 48 heures. Si cela ne suffit pas, nous finirons par procéder à l’organisation d’une grève reconductible. On entend parler d’un impôt sur la fortune ou de l’abandon de nombreux cadeaux fiscaux pour les grandes entreprises, afin d’également faire contribuer les riches et les entreprises. Mais nous ne voulons pas en rester là. Nous n’avons bien entendu rien contre une taxe sur les riches, mais sommes surtout favorables au retrait de toute la politique d’austérité. Mais l’austérité est inhérente au système économique actuel, le capitalisme.
Les réunions de personnel et assemblées générales peuvent évaluer la grève et nous préparer pour la prochaine, mais nous pouvons aussi nous en servir pour discuter de nos revendications par entreprise et par secteur dans le but d’affiner notre alternative anti-austérité et d’examiner de quels moyens nous avons besoin pour qu’elle devienne un fait. Nous ne sommes encore qu’au début du combat. La semaine prochaine, Bruxelles et les provinces brabançonnes suivront, et puis ensuite peut être la plus grande journée de grève générale de l’histoire belge!