Ukraine : Les élections accentuent la division

Les travailleurs ont besoin d’une alternative socialiste à la guerre que se livrent les oligarques et les puissances étrangères

ukraine_electionsCela fait aujourd’hui un peu plus d’un an depuis que les premiers manifestants se sont rassemblés à Kiev sur le “maïdan Nezalejnosti” (place de l’Indépendance) en guise de protestation contre le refus du gouvernement de Mykola Azarov de signer un “Accord d’association” entre l’Ukraine et l’Union européenne. Depuis lors, le pays n’a cessé de se diriger vers la catastrophe économique, politique, sociale et ethnique. Le mois passé, des élections ont été organisées dans la plupart du pays par le gouvernement de Kiev. Ces élections ont eu pour résultat la consolidation d’un parlement encore plus pro-Europe et pro-guerre. Les élections ukrainiennes ont été suivies le 2 novembre par des élections organisées dans les républiques rebelles. Malgré le cessez-le-feu déclaré en septembre de part et d’autre, l’état de guerre continue à l’est du pays. Plus de 300 personnes ont été tuées rien qu’à la fin octobre, avec une bataille prolongée autour de l’aéroport de Donetsk, et dernièrement autour du village de Debaltsevo.

Par Rob Jones, Komitiet za rabotchiï internatsional (CIO-Russie)

Plusieurs pays européens font état d’une hausse des incursions de chasseurs et bombardiers russes dans l’espace aérien européen. Selon le haut commandant de l’Otan, on observe des « formations plus grandes, plus complexes d’avions qui suivent des routes plus “provocatrices” que par le passé » ; on signale également ici et là une présence accrue des troupes russes dans la sous-région. Tout cela est une conséquence de la politique constante d’élargissement de l’Otan vers l’Est et de soutien militaire au régime de Kiev.

Les élections parlementaires ukrainiennes

Les résultats des élections à la Rada suprême (parlement) du 26 octobre ont certainement brisé les espoirs de tous ceux qui ont participé à l’Euromaïdan dans le but de contester le pouvoir des oligarques. Avec un taux de participation d’à peine 50 %, six partis ont dépassé le seuil des 5 % requis pour pouvoir être représentés. Tous ces partis sont liés aux oligarques, y compris le parti du président Petro Porochenko (qui s’appelle tout simplement « Bloc Porochenko »), lui-même magnat de l’industrie l’agro-alimentaire. Son parti a reçu 22 % des voix, de même que le parti de son premier ministre, Arseniï Yatseniouk, baptisé Narodnyï front (« Front populaire). Trois autres partis pro-européens ont ensemble obtenu 23 % des voix (y compris le parti de Youlia Tymochenko, qui ne fait plus que 6 %). L’Opozytsiïnyï blok (« Bloc de l’opposition » au mouvement du Maïdan), considéré comme le successeur politique de l’ex-Parti des régions de l’ancien président Yanoukovitch, a fait 10 %. Quant à lui, le Parti “communiste” (Komounistitchna partiya Ukrayiny), qui avait défendu le président déchu Yanoukovitch, a été sévèrement puni : son vote est passé de 14 % à moins de 4 % – c’est la première fois depuis la chute de l’URSS qu’aucun député “communiste” n’est présent au parlement – et la première fois qu’aucun “communiste” ne participe à un gouvernement ukrainien depuis 1918.

Il est important de prendre en compte le fait que le pour Bloc Porochenko est relativement faible : il y a moins de six mois, le même Porochenko avait pourtant fait plus de 50 % lors des élections présidentielles. Même si les médias ukrainiens sont à présent presque entièrement monopolisés par le nouveau président (suivant l’exemple de la Russie…), les électeurs, qui espéraient en mai de l’an dernier que la victoire de Porochenko amènerait à une résolution rapide du conflit dans l’Est et permettrait de remettre le pays sur les rails de la croissance économique, ont clairement déchanté depuis.

L’extrême-droite entre par la petite porte

Les deux principaux partis d’extrême-droite, Svoboda (« Liberté ») et Pravyï sektor (« Secteur droite ») ont tous deux obtenu un très mauvais score. Le vote en faveur de Svoboda est passé de 10 % en 2012 à moins de 5 % aujourd’hui ; Pravyï Sektor quant à lui n’obtient même pas 2 %. Une partie des voix pour Svoboda sont cependant passées au Radika?na partiya, un parti de droite populiste radical, dirigé par Oleh Liachko (un individu dénoncé par Amnesty International en tant que criminel de guerre).

Mais cela ne nous donne pas tout le tableau. Car seulement la moitié des sièges sont attribués en fonction des résultats des votes pour les partis en tant que liste. L’autre moitié va aux candidats sur base des votes de préférence individuels. C’est ainsi que les blocs de Porochenko et de Yatseniouk ont obtenu 90 sièges supplémentaires, et que 100 soi-disant « candidats indépendants » ont été élus également. Svoboda a pu obtenir six sièges, et Dmytro Yaroch, le dirigeant de Pravyï sektor, a été élu dans une circonscription à proximité de la région rebelle de Donetsk. Toute une série de chefs paramilitaires de divers « bataillons volontaires » ont également élus de cette manière, y compris le commandant et le vice-commandant du « bataillon de l’Azov », une milice pro-nazie.

Pas d’élections dans 15 circonscriptions

Comme si la situation n’était pas assez compliqué comme ça, aucun scrutin n’a été organisé dans de nombreuses régions du pays. Sans même parler de la Crimée (maintenant rattachée à la Russie), le scrutin n’a pas pu être organisé dans 15 circonscriptions des régions de Donetsk et Lougansk – vu que ces régions, où vivent 5 millions de gens, sont au contrôle des forces armées rebelles.
Malgré cela, le vote a clairement suivi des lignes régionales. Le Sud et le Centre (y compris les régions d’Odessa et de Kiev) ont voté pour le Bloc Porochenko ; le Nord-Est a voté pour l’Opozitsiïnyï blok pro-Yanoukovitch, et l’Ouest a voté pour le Narodnyï front de Yatseniouk.

Le contrôle des oligarques et la corruption continuent

La nouvelle Rada suprême est maintenant le théâtre de toutes sortes d’arrangements et de transactions entre politiciens. Certains n’ont même pas attendu le jour des élections avant de changer de parti. Comme on pouvait le lire sur le site ukrainien korrespondent.net : « La nouvelle Rada suprême n’a même pas encore commencé à fonctionner, qu’on y dénonce déjà toute une série de scandales “carriéristes”… » Mis à part la position déjà dominante de Porochenko, une lutte d’influence a éclaté entre deux oligarques, Kolomoïskyï (le gouverneur de la province de Dnipropetrovsk, troisième homme le plus riche d’Ukraine, réputé financer l’extrême-droite et pour avoir constitué sa propre armée) et Firtach (président de la Fédération des employeurs ukrainiens, etc., oligarque plutôt pro-Est, actif dans le secteur de l’énergie, recherché aux États-Unis pour tentatives de corruption). « Tant que ce processus d’achat et de vente de sièges parlementaires n’est pas terminé, aucune coalition gouvernementale stable ne peut être formée », disait korrespondent.net.

Cependant, il est probable qu’une coalition semblable à celle du gouvernement actuel soit à nouveau formée sur base de l’alliance des partis de Porochenko et de Yatseniouk. Le Radika?na partiya de droite populiste participerait lui aussi aux négociations. Cela signifie que le gouvernement pourra présenter un visage d’unité apparente à présenter aux gouvernements occidentaux dans le cadre d’une politique de « réformes économiques et d’austérité » afin de pouvoir recevoir l’aide financière des institutions internationales telles que l’UE et le FMI.

L’économie continue à s’enfoncer

Leur État a certainement besoin d’aide, parce que son économie continue à s’enfoncer dans le trou noir. Selon certaines prédictions, le PIB devrait encore chuter de 10 % cette année, en partie à cause de l’effondrement de l’industrie lourde (-30 %) dans l’Est du pays. Seules 24 des 93 mines de charbon de l’Est sont encore opérationnelles. De nombreux mineurs vont travailler sous les bombardements. Ils n’ont pas été payés depuis des mois, et ont commencé à organiser des manifestations à Kiev pour réclamer leurs salaires. Le charbon qu’ils produisent est pris par l’organisation étatique d’achat de charbon, mais quand ils demandent leur paiement, on leur dit que l’argent a été utilisé pour les dépenses de guerre. L’Ukraine a même commencé à importer du charbon sud-africain.

La monnaie nationale, la hryvna, a chuté de 40 % depuis le début de cette année. Mais les puissances occidentales tardent toujours à apporter l’assistance économique dont l’Ukraine a tant besoin. Au cours d’une récente visite aux États-Unis, Porochenko a tout fait pour persuader le Congrès américain de soutenir l’Ukraine dans sa lutte contre « l’impérialisme russe ». Mais tout ce qu’il a pu obtenir est un petit chèque de 53 millions de dollars – à peine suffisant pour financer neuf jours de combats.

Les partis pro-guerre dominent

Bien que les partis de Porochenko et de Yatseniouk soient plus ou moins d’accord en ce qui concerne l’économie, ils ont cependant des positions différentes par rapport à la situation dans l’Est. Porochenko se présente comme un partisan de la paix et de la négociation – même si son discours devant le Congrès américain était extrêmement belliqueux. Tous les autres partis pro-européens élus à la Rada sont pour lancer une offensive militaire pour reprendre le contrôle de l’Est. Ces forces politiques sont soutenues par des commandants militaires et par des chefs locaux. Elles ne contribueront certainement pas à trouver une solution négociée au conflit. Au moment où nous écrivons, la Rada est en train de débattre de la suppression du « status spécial » pour la région de Donetsk qui lui a été accordé en septembre lors des négociations à Minsk entre le gouvernement de Kiev et les chefs rebelles. À présent, Porochenko a de nouveau ordonné à ses chefs militaires d’envoyer les troupes dans les zones stratégiques de l’Est.

La position des groupes d’extrême-droite et de certains militants du mouvement de l’Euromaïdan est que le gouvernement Porochenko-Yatseniouk ne répond pas à leurs attentes. Ces groupes parlent à présent de mobiliser pour un nouveau « Maïdan ». Même si cela ne se passe pas, la menace d’un tel mouvement suffit à maintenir la pression sur Porochenko et pourrait le forcer à adopter une attitude plus guerrière que lui-même ne le souhaiterait.

Les élections dans les républiques rebelles

Cette décision de Porochenko de contre-attaquer survient à la suite des élections qui ont été organisées dans les deux républiques rebelles de Donetsk et de Lougansk, mais aussi de rumeurs selon lesquelles les forces russes seraient de nouveau en train de s’amonceler dans la sous-région. Ces élections ont été organisées en violation de l’accord conclu en septembre à Minsk.

Dans chaque région, le scrutin a été remporté par le chef militaire à la tête de la rébellion locale. À Donetsk par exemple, Aleksandr Zakhartchenko aurait obtenu 80 % des voix. Il a obtenu sa position en septembre, après que les dirigeants les plus imprévisibles et incontrôlables, tels que Strelkov, aient été écartés – apparemment sous pression du régime de Poutine. Zakhartchenko pourrait donner une image plus modérée que celle de son prédécesseur, mais il reste directement lié aux forces de l’extrême-droite russe et à l’Armée orthodoxe grand-russe (« Rousskaïa pravoslavnaïa armiya »), une force réactionnaire qui a joué un rôle majeur dans le conflit armé.

Selon Russia Today, une agence de presse pro-Poutine, Roman Liaguine, président de la Commission électorale de Donetsk, a déclaré que Zakhartchenko a reçu plus de 765 340 voix, mais a refusé de donner un pourcentage, se justifiant en disant « parce que je pense que les chiffres absolus sont plus ouverts et plus précis ».

Afin de tenter d’obtenir une certaine crédibilité, on a invité des observateurs internationaux de l’“Association pour la sécurité et la coopération en Europe”, une organisation “clone” dont le but est d’imiter l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Le plus ironique, considérant que les « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk ont censément été constituées pour résister à la « montée du fascisme » en Ukraine occidentale, est que parmi les observateurs de l’“ASCE”, on retrouvait un membre du FPÖ autrichien, ainsi qu’Alexandra Mussolini, la petite-fille de l’ancien dictateur fasciste italien.

L’ambiance dans les républiques rebelles

De tous ceux qui ont voté pour les élections dans la république de Donetsk, plus de 80 % auraient voté pour Zakhartchenko. Selon le registre électoral officiel, il y aurait 3,2 millions d’électeurs dans la zone contrôlée par la république rebelle, mais seulement un million est parti voter – un taux de participation inférieur à 33 % donc. Et cela, malgré toutes les mesures spéciales qui ont été mise en place pour favoriser la participation, comme le fait de donner le vote aux habitants qui ne sont pas originaires de la région, d’abaisser la majorité électorale à 16 ans (« comme en Écosse »), et de permettre aux électeurs de voter dans n’importe quel bureau de vote. Dans le reste de la région de Donetsk, 400 000 personnes ont été voter en octobre pour les élections au parlement de Kiev.

Les résultats électoraux ne sont jamais rien de plus qu’un reflet de l’humeur de la population à un moment déterminé. Ces élections se sont déroulées dans une région ravagée par la guerre, de laquelle une grande partie de la population s’est enfuie. Moins d’un tiers de la population de la ville de Donetsk s’y trouvait toujours à la fin de l’été. Nazariï Sergueïev, journaliste à Donetsk, décrivait ainsi l’ambiance dans la ville : « La réalité politique dans la “république indépendante” de Donetsk repose sur un sentiment d’impossibilité de s’enfuir. Il y a de véritables enthousiastes qui croient vraiment dans l’avenir de la république. Mais il y a aussi tous ceux qui ont tout perdu au cours de ce cataclysme politique : leur position, leur emploi, leur entreprise, leur famille… et qui haïssent en silence les nouvelles autorités. Au final, il n’existe aucun mouvement particulièment en faveur de l’indépendance ou des nouveaux « dirigeants », que beaucoup disent manquer de charisme. Mais les habitants disent aussi ne plus vouloir vivre « comme avant », « soumis aux oligarques et aux fascistes ». Ils craignent particulièrement Pravyï sektor. Trop de sang a été versé récemment. Il est difficile de dire quel est exactement le sentiment des masses. Ce sentiment change constamment. Au printemps, il y avait beaucoup plus de partisans d’un État unitaire avec le reste de l’Ukraine. Mais ceux qui étaient pour une Ukraine unie ont fui depuis, ou bien restent chez eux sans rien dire, parce qu’aujourd’hui, exprimer son opinion est devenu dangereux – très dangereux. En même temps, les habitants ont du mal à comprendre comment la situation va se développer : qui va payer les pensions et les salaires, qui va réparer les dégâts, qui va faire fonctionner les usines… D’un autre côté, la mort de tant de gens après tous les combats et bombardements ne fait qu’accroitre l’antagonisme. »

C’est surtout les personnes âgées qui sont venues voter, qui ne peuvent pas fuir et qui sont les plus susceptibles de céder à la « nostalgie de l’URSS ». D’autres commentateurs font état d’une minorité qui veut un Donbass indépendant, mais qui a perdu la foi dans cette idée parce que la Russie n’a pas utilisé la position favorable qu’elle avait en été. De plus, de plus en plus de gens se rendent bien compte que la Rusise, dans son état économique actuel, ne pourra tout simplement pas renflouer une région de 5 millions d’habitants. Il y a toujours toute une couche de la population qui rêve d’une Ukraine fédérale qui leur permettrait de vivre sans intervention de l’armée de Kiev. Si Kiev lance un assaut, ces gens pourraient se réfugier du côté du Kremlin, mais si la Russie est perçue comme étant celle qui provoque un nouveau conflit, l’opinion pourrait se retourner contre Poutine. La presse russe rapporte qu’à part la crainte de nouvelles sanctions occidentales, la principale raison pour laquelle la Russie s’est retenu d’intervenir en Ukraine en été est que la population de Donetsk ne soutenait pas l’idée d’une intervention.

Ce qui semble se produire dans les régions russophones qui n’ont pas encore été annexées par les républiques rebelles (y compris une grande partie de la région de Donetsk), est une consolidation du sentiment contre l’intervention de la Russie. Ce sentiment est alimenté par la crainte de l’arrivée chez eux d’un conflit militaire semblable à celui qui a détruit la ville de Donetsk. C’est ce sentiment qui anime à présent surtout les villes “pro-russes” comme Marioupol, Kharkov, Zaporijia et Dnipropetrovsk.

Crimée – l’hiver approche

Il est toujours probablement vrai que la position du Kremlin est de maintenir les républiques de Donetsk et Lougansk en tant que “conflits gelés”, qui pourront servir de moyen de pression sur les autorités de Kiev. Mais quand bien même ce serait le souhait du Kremlin, la situation réelle sur le terrain fait que cette approche devient de jour en jour de plus en plus intenable. En Crimée, alors que l’hiver approche, qui promet d’être particulièrement rude cette année, les perspectives sont fort moroses. Après que les autorités ukrainiennes ont coupé les accès de l’eau potable, le maire de Sebastopol a annoncé que l’eau ne sera disponible que pour quelques heures par jour. On dirait qu’on est revenu à la situation qui a suivi l’effondrement de l’URSS. Le réseau électrique ukrainien a aussi déclaré que vu qu’il ne reçoit plus le charbon de Donetsk pour alimenter ses centrales, il cessera d’alimenter la Crimée.

Le secteur touristique en Crimée s’est effondré cet été. À présent, les usines d’armement de la péninsule se plaignent du fait qu’elles ne reçoivent pas les commandes qui leur avaient été promises par l’État russe. De ce fait, elles se voient à présent contraintes de vendre un quart de leurs actions à des conglomérats russes. Les vignobles de Crimée sont eux aussi au bord de la faillite, puisqu’ils ont énormément de mal à se réajuster au système légal russe. Sur les 20 banques russes qui sont venues s’installer dans la péninsule après l’annexation par la Russie, plusieurs ont déjà commencé à se retirer, se plaignant du montant des loyers et de l’étroitesse du marché, vu la faiblesse des salaires.

Malgré les promesses selon lesquelles on allait rapidement construire un pont entre la Crimée et le reste de la Russie, le Kremlin n’a que des problèmes à ce niveau. Les entreprises chinoises et canadiennes candidates disent que la construction de ce pont sera très difficile, car il sera soumis à de rudes tensions en hiver, lorsque le golfe de Kertch est pris par les glaces et est régulièrement battu par les tempêtes. En ce moment d’ailleurs, la Crimée est coupée du reste du monde par ces mêmes tempêtes. À présent, le ministère du Transport est en train d’envisager l’idée de mobiliser de force les étudiants pour accomplir le travail nécessaire – une politique qui rappelle la manière dont les prisonniers du goulag étaient exploités comme des esclaves sous le régime stalinien. Cette mesure ne sera certainement pas populaire parmi les étudiants. Les bacheliers de première année sont déjà menacés de perdre leurs bourses (qui ne valent déjà pas grand-chose) du premier semestre, l’argent devant être utilisé pour « soutenir » les universités criméennes !

L’euphorie se calme

Deux des trois principales agences de sondage russes qui, tout comme les médias, tendent à refléter la position du Kremlin, notent cependant une baisse importante du soutien à Poutine dans l’opinion publique, après le pic record qui avait été atteint au début de l’été. Le centre Levada enregistre un taux d’approbation de 49 % en septembre (contre 57 % en aout) ; le VTsIOM quant à lui note un soutien en baisse de 66 % à 62 %. Un autre sondage réalisé par la même organisation début novembre indique que, bien qu’une vaste majorité de la population de Russie soutient l’annexation de la Crimée, 68 % sont contre le fait d’envoyer l’armée russe participer au conflit militaire aux côtés des rebelles de l’Ukraine orientale.

Même si le soutien à Poutine pourrait bien remonter en fonction de l’évolution de la crise ukrainienne et au son de son tambour nationaliste, les organisations de sondage avertissent du fait que le déclin de soutien actuel pourrait bien se poursuivre. Il pourrait même selon elles retomber jusqu’au niveau de janvier passé (25-35 %), du fait de la hausse des tensions au sein de la société russe.

Une des principales raisons de tout ceci est la situation économique désespérée qui est en train de se développer en Russie. Même avant l’arrivée des sanctions, l’économie russe était en train de se diriger rapidement vers la récession. Selon les chiffres officiels, la croissance aura été de 0 % de cette année, tandis qu’une récession est prévue pour l’an prochain. Les perspectives ne sont pas bonnes. L’année 2014 a été une année record en ce qui concerne la fuite des capitaux hors de Russie. Le rouble a perdu 20 % de sa valeur cette année, malgré un soutien énorme de la part de la banque centrale. À présent, c’est le prix du pétrole qui est en train de s’effondrer, avec une perte de 25 % depuis juin. Et tout cela était avant que les sanctions ne soient arrivées. Ces sanctions rendent à présent quasi impossible l’obtention d’un crédit bon marché pour la plupart des entreprises (le taux directeur de la banque centrale russe est de 9,5 % !). Tous ces facteurs critiques, en plus du cout de l’intégration de la Crimée et du financement des républiques rebelles en Ukraine, ont ouvert un gouffre béant dans les finances de l’État. Le fonds national pour les pensions a déjà été pillé pour compenser les pertes subies par les grandes banques à la cause des sanctions occidentales.

Plus encore, les budgets fédéraux et régionaux sont en train d’être réduits à la hache. Alors que la part du budget de l’armée et de la police est passé de 29 % du PIB à 35 %, la part des soins de santé va être sabré pour passer de 4,4 % à 2,7 % du PIB. En avril 2015, 26 des 46 hôpitaux seront fermés ou fusionnés – 7000 travailleurs de la santé perdront leur emploi. Il y a déjà eu deux grands meetings de protestation à Moscou contre ces coupes budgétaires ; un autre meeting est prévu fin novembre.

Une élite unie ?

En surface, l’élite dirigeante autour de Poutine a l’air soudée. Mais il est clair qu’il y a des intérêts conflictuels au sein du cercle dirigeant, que Poutine cherche à contenir. Les sections de l’élite qui sont liées aux banques et aux grandes institutions financières sont celles qui souffrent le plus des sanctions et qui ont le moins à gagner de nouvelles incursions en Ukraine. Afin de les apaiser, une loi spéciale a été adoptée afin de compenser leurs pertes dues aux sanctions.

D’un autre côté, on a ceux qui dirigent les forces armées et le complexe industrialo-militaire en pleine croissance. Ces personnes propagent l’idée selon laquelle les puissances occidentales sont dirigées par les États-Unis, qui comploteraient constamment contre la Russie.

À la suite de la répression étatique qui s’est abattue sur les dirigeants du mouvement de protestation contre la fraude électorale à Moscou d’il y a deux ans, l’aile “libérale” de l’élite a été complètement écartée.
Si Poutine décide d »intensifier son intervention en Ukraine orientale, baptisée du doux nom de « Novorossiya » (« Nouvelle-Russie »), ce qui pourrait se produire parce que la situation dans l’Est aura échappé à tout contrôle, ou parce qu’il aurait un plan d’ouvrir un couloir terrestre vers la Crimée, les divergences au sein du cercle dirigeant vont s’accroitre. Vu la situation de l’économie, cela veut dire que quelle que soit l’approche choisie à présent par Poutine vis-à-vis de l’Ukraine, il court de très grands risques.

Il faut une lutte unie de la classe des travailleurs

À Kiev, à Donetsk ou à Moscou, ce sont les travailleurs qui payent le prix de cette crise, tandis que les diverses élites dirigeantes, leurs armées et leurs chefs de guerre continuent à s’entre-déchirer pour le contrôle des richesses et des ressources de l’Ukraine et de la Russie.

La classe des travailleurs dans la sous-région est peu organisée. Les organisations qu’elle possède, sous la forme de syndicats indépendants, ne représentent qu’une minorité et se limitent à des enjeux purement économiques. Il faut pourtant que les travailleurs puissent apposer leur marque sur la situation, en organisant une lutte unie contre les tentatives de restreindre les droits des minorités nationales, de liguer les travailleurs de différentes ethnies les uns contre les autres, contre la guerre et contre les coupes budgétaires. Il faut une alternative des travailleurs contre la crise économique, pour construire de puissants partis politiques, armées d’un programme socialiste afin de trouver une issue à ce cauchemar. Cela ne peut se faire que par la fin du règne du capitalisme oligarchique et son remplacement par une fédération volontaire et démocratique d’État socialistes.

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