Le plus grand rassemblement syndical en 28 ans … noyé dans des articles sur les émeutes

 

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Photo : MediActivista

La manifestation du 6 novembre dernier a constitué la plus grande mobilisation syndicale depuis pas moins de 28 ans. C’est extrêmement significatif de la préparation pour les grèves régionales des 24 novembre, 1er décembre et 8 décembre ainsi que pour la grève générale nationale du 15 décembre. On ne pouvait imaginer meilleur moyen de convaincre les centaines de milliers de sceptiques de rejoindre le mouvement. Mais une semaine plus tard, dans les médias, cela ne semble plus être qu’un fait divers. L’essentiel de l’attention a été accordée aux troubles qui ont suivi la manifestation. Qui donc peut bien avoir intérêt à ce que cela se produise de la sorte? Est-ce une coïncidence si des provocateurs issus de la police et des militants d’extrême droite ont été signalés parmi les émeutiers?

Le premier ministre officieux, Bart De Wever, a été prompt à déclarer dès jeudi dernier qu’une telle chose ne se produira pas à Anvers, là où il est bourgmestre, et que la police serait préparée à intervenir pour la manifestation du 24 novembre. Les médias ont ainsi immédiatement eu le prétexte pour poursuivre leur couverture des émeutes de la manière dont nous l’avons vu les jours après.

De Wever ne savait visiblement pas qu’il y avait grève le 24 novembre et pas manifestation. Lors d’une grève, le travail est stoppé et il y a des piquets de grève aux entreprises. Toute personne qui a vu de près un conflit social devrait le savoir. De Wever n’en savait-il rien? A-t-il délibérément participé à la campagne de criminalisation de la contestation sociale? Était-ce par ignorance ou par provocation délibérée qu’il a parlé d’une manifestation à Anvers?

Le secrétaire régional de la FGTB d’Anvers, Dirk Schoeters, a confirmé ce lundi sur Radio 1 : « Le front commun syndical ne prévoit aucune manifestation, nous l’avons communiqué à la police la semaine dernière déjà. » La FGTB Horval a noté à juste titre : « Il semble logique que De Wever informe les gens, mais il leur fait peur. Peur qu’Anvers soit une ville assiégée. Provoquer la violence pour répondre par la violence. C’est ce qu’a fait Thatcher en Angleterre.”

L’objectif poursuivi est on ne peut plus clair : tenter de peser sur le large soutien dont dispose la résistance anti-austérité en assimilant toute résistance active à la violence, aux émeutes et autres afin de criminaliser la contestation. Avec ses déclarations dans les médias, De Wever ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Est-ce pour préparer le terrain à la répression des piquets de grève ? Au moment du mouvement de grève contre le gel des salaires en janvier 2012, alors que De Wever n’était pas bourgmestre, ce dernier avait expliqué que la police aurait dû être déployée afin de maintenir l’activité du port. Il a depuis lors été élu et se retrouve aujourd’hui à la tête du conseil communal et de la police. Afin de parvenir à limiter le droit de grève, il se sert d’une image créée de toutes pièces et qui ne correspond en rien à la réalité : l’image selon laquelle une grève est synonyme de violence.

Cette campagne médiatique de dénigrement a aussi été utilisée afin d’empêcher tout rapprochement entre le mouvement social au sens large et la police, elle-même sujette d’attaques portant sur les pensions. N’oublions pas que la première grande manifestation avant le rassemblement syndical du 23 septembre était une manifestation de la police. Peut-être De Wever pourra-t-il louer quelques provocateurs le 24 novembre pour mettre en pratique ses messages apocalyptiques? Cela ne devrait pas être difficile à trouver parmi les têtes brûlées que l’on trouve dans son parti.

Que cela soit clair : les troubles causés par une petite minorité à la fin de la manifestation du 6 novembre étaient bien évidemment contre-productifs. Il est certain que des provocateurs y ont été impliqués. Que pensent d’ailleurs les agents de police du fait que leur sécurité ait été compromise par des provocateurs issus de leurs propres rangs? Des rapports font également état d’infiltration de la manifestation par des néonazis (il y a notamment des photos de néonazis faisant connaissance avec les canons à eau). Un travailleur d’origine chilienne présent à la manifestation a douloureusement rencontré cette clique en voulant savoir ce qui se passait. Il a été sauvagement frappé au visage par l’un des émeutiers avec le commentaire suivant : « fous le camp, sale arabe »!

Ce ne serait pas la première fois que des provocateurs de la police déclenchent des troubles violents dans le but de criminaliser le mouvement et de saper son soutien public. Dans le mouvement anti-globalisation, c’est ce que nous avions déjà vu en 2001 à Göteborg et plus particulièrement à Gênes sous la direction de Berlusconi. Un jeune manifestant y est décédé. A Anvers, lors d’une manifestation organisée par la campagne antifasciste flamande du PSL et des Etudiants de Gauche Actifs, Blokbuster, des policiers en civil avaient revêtu des chasubles rouges de Blokbuster pour ensuite tenter de se mêler à la manifestation. Seul le fonctionnement efficace de notre service d’ordre a permis, en les faisant sortir, d’éviter qu’ils ne jouent un rôle néfaste en incitant de jeunes manifestants à la violence.

Il a unilatéralement été question de pointer du doigt les dockers d’Anvers après la manifestation, même s’il est vrai que certains auront pensé qu’il s’agissait de la meilleure manière de défendre leur statut. Tout comme les travailleurs des chemins de fer, de Bpost et d’innombrables autres, les dockers font face à la libéralisation. Ces dernières années, à la place de réunir tous ces secteurs dans la lutte, les syndicats les ont laissés isolés chacun dans leur secteur. Dans ces circonstances, il semble impossible de pouvoir tenir tête à une directive européenne. Si les dockers ont jusqu’ici pu éviter la libéralisation du travail portuaire, ce n’est pas parce qu’ils ont gentiment été trouver les institutions européennes à Strasbourg. Certains ont décidé de donner quelques claques. Mais nous pensons que la crainte de l’establishment pour tout conflit social prolongé durant lequel les ports auraient été longtemps fermés a été bien plus décisive que les violences elles-mêmes.

Les services de police connaissent eux aussi fort bien ce contexte. Ils savaient donc exactement où envoyer leurs agents provocateurs pour obtenir le meilleur effet. Selon les dockers, quelques jeunes immigrés ont également été impliqués dans les troubles. Nous n’en savons rien, mais cela pourrait bien être le cas, ils ont une longue expérience de contrôles arbitraires et d’autres formes de harcèlement policier. En voyant l’opportunité de prendre leur revanche, au côté de dockers flamands, il ne fait aucun doute que certains l’auront saisie. Éviter que différents groupes ne restent isolés et se laissent aller à des tactiques désespérées nécessite une stratégie syndicale commune afin d’unifier la lutte contre la libéralisation de tous les secteurs. Une stratégie destinée à vaincre avec efficacité.

Chaque faiblesse du camp des travailleurs sera exagérée jusqu’à l’absurde et pleinement exploitée par le gouvernement de droite dure qui se rend bien compte qu’il est sous pression. Les sévères attaques contre nos conditions de vie et toutes nos conquêtes sociales doivent être combattues. La manifestation phénoménale du 6 novembre, avec la participation de peut-être 150.000 manifestants, a constitué la plus grande mobilisation syndicale depuis 1986. Le gouvernement tentera systématiquement de briser cette unité. Nous ne pouvons pas nous laisser attraper dans ce piège.

Comme nous l’avons déjà écrit pour ce site et notre journal, Lutte Socialiste : « Cette épreuve de force peut être remportée, ce gouvernement peut chuter. Mais cela exigera des efforts conscients et déterminés pour aller vers l’unité la plus grande possible dans l’action. Ce besoin d’unité est perçu de manière instinctive, mais peut aussi se retrouver sous pression. L’unité entre étudiants et travailleurs dans secondaire et le supérieur en Flandre peut et doit être organisé sur les écoles via des assemblées générales afin de discuter ensemble de l’application du plan d’action jusque dans ses moindres détails. Il en va de même plus globalement, jusqu’à la moindre entreprise. Il faut convoquer des assemblées du personnel, en front commun, tous ensemble ; ouvriers et employés ; verts, rouges et bleus. Mais il faut aussi des assemblées générales au niveau de chaque ville pour réunir les délégués des assemblées d’écoles et d’entreprises afin de continuer à forger cette unité. » Des assemblées du personnel seraient utiles pour assurer la participation de tout le monde et repousser chaque tentative de semer la discorde et / ou la confusion et le doute.

La lutte pour renverser le gouvernement Michel ne sera pas évidente. Il ne se laissera pas faire comme ça. Le 6 novembre n’était à ce titre que le début d’un plan d’action ambitieux. Tirons-en les leçons pour les étapes suivantes. Le mouvement syndical doit par exemple comprendre son propre service d’ordre lors des manifestations et grèves pour extraire les éléments réactionnaires et discuter avec les manifestants pour les convaincre de ne pas céder aux provocations de ceux qui ont tout intérêt à ce qu’une manifestation dégénère. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons veiller à ce que les journées de grève régionales nous conduisent peut-être vers la plus grande grève générale de l’histoire de Belgique!

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