Herman De Croo, président de la Chambre des représentants a déclaré récemment que « les chemins de fer reçoivent en Belgique bien trop d’argent public ». Pour lui, la SNCB et La Poste « doivent être privatisées pour survivre » (notons que le capital de La Poste est déjà détenu à 49,9pc par le privé).
Stéphane Ramquet
La réaction d’Elio Di Rupo ne s’est pas fait attendre : « Il faut faire tomber les masques. Le VLD, par la voix du président de la Chambre, qui compte parmi les personnes les plus importantes des libéraux flamands, a dit que son modèle était plutôt celui des chemins de fer britanniques. De grâce, que le VLD ne remporte pas les élections».
Di Rupo critique donc la privatisation et souhaite une défaite des libéraux aux élections. Quoi de plus normal pour un homme de gauche? Mais son indignation est-elle sincère ?
Mauvaises recettes britanniques
Actuellement, le billet de train que le citoyen paie ne couvre en réalité qu’une partie du coût réel du service rendu (entretien des machines, salaires, achats, etc.), le reste étant couvert par des transferts de l’Etat fédéral. Et c’est justement ça le service public: permettre à chacun et à chacune de bénéficier d’un service collectif quelque soit sa situation; le service étant partagé et les frais aussi.
C’est ça que Herman De Croo remet en cause: le service public et donc l’égalité des citoyens face au service de transport. Une privatisation signifierait un calcul de rendement en terme de bénéfices et non plus de qualité du service , ce qui voudrait dire pour les voyageurs, payer le coût réel du service en plus d’un supplément pour faire plaisir à l’actionnaire… et pour beaucoup de cheminots, prendre la porte car privatisation rime toujours avec restructurations et volées de licenciements.
Ainsi, la privatisation des chemins de fer britanniques (qui a été menée autant par les travaillistes que les conservateurs) a eu des effets catastrophiques. De nombreuses lignes ont été supprimées car jugées non rentables. Le manque de sécurité (des trains fiables sont chers, donc non rentables pour le privé) a causé en 2000 le tristement célèbre accident de Hatfield qui a causé la mort de 4 personnes et en a blessé une septantaine. Pannes et incidents divers sont le lot quotidien des trains britanniques.
De la friture sur la ligne
Mais l’indignation anti-privatisation de Di Rupo laisse rêveur. C’est lui, en tant que Ministre des Communications, qui a ratifié en 1999 la libéralisation du marché postal et l’ouverture à la concurrence privée qui ont déjà coûté la perte de 7.000 emplois à La Poste et la fermeture de centaines de bureaux locaux. Et c’est un secrétaire d’Etat socialiste flamand, Bruno Tuybens, qui actuellement laisse La Poste organiser la fermeture de la moitié des 1.300 bureaux restants et la liquidation de 8.000 autres emplois.
Di Rupo connaît aussi très bien le cas de Belgacom puisqu’il s’est chargé lui-même d’organiser sa libéralisation en 1995. Depuis lors, si Belgacom reste une entreprise formellement publique, 49,9% de son capital est dans les mains d’actionnaires privés et l’entreprise est placée en concurrence avec d’autres opérateurs, doit respecter les même règles (pas de subsides de la part de l’Etat, etc.) et fonctionne donc comme une entreprise privée.
Depuis 1995, Belgacom a « dégraissé » 10.000 travailleurs par vagues successives et institué une telle pression professionnelle et psychologique sur ceux qui restent qu’une trentaine d’employés se sont suicidés. Le patron de Belgacom, Didier Bellens, vient encore d’annoncer que 1.500 emplois sur les 18.000 restants disparaîtraient d’ici 2011. L’entreprise se porterait-elle mal ? Sûrement pas ! Entre 1995 et 2005, la privatisation a rapporté 4,25 milliards d’euros aux seuls actionnaires privés. Et, en 2006, Belgacom a réalisé un chiffre d’affaires de 6,10 milliards d’euros !
Si Elio Di Rupo et le PS critiquent les « méchants libéraux » adeptes du marché durant la campagne électorale, dès qu’ils arrivent au pouvoir, les promesses sont oubliées et le marché redevient alors leur seule Bible!