Un bac à la belge ? Quel avenir pour notre enseignement ?

DSC_0255La qualité de notre enseignement se dégrade un peu plus chaque année et avec chaque nouveau programme mis en œuvre par les gouvernements successifs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ex-Communauté française. Les pénuries sont de plus en plus criantes tandis que les réformes organisent toujours davantage l’enseignement à des fins utilitaristes, au profit du patronat.

Par Emily (Namur)

Les études PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) démontrent que notre enseignement est extrêmement inégalitaire, mais l’enseignement n’est autre que le reflet de la société. Selon cette étude, il existe un gouffre équivalent à 4 années d’études entre les 25% d’élèves de 15 ans les plus favorisés et les 25% d’élèves de 15 ans les moins favorisés (en moyenne 136 points de différences à ce test entre ces 2 groupes) ! Le décret mission de 1997 – pour une école de la réussite – n’est en rien parvenu à enrayer ce phénomène. Si le redoublement est limité dans le premier degré, des filières de relégation s’y dessinent déjà et les aides accordées aux écoles en discrimination positive sont de très loin insuffisantes au vu des défis de l’enseignement.

L’enseignement orienté vers les besoins du patronat

Depuis 2011, le 3ème degré de l’enseignement qualifiant (technique de qualification et professionnel) est progressivement réformé avec la Certification par unité d’acquis d’apprentissage (CPU) tandis que les épreuves externes se généralisent dans l’ensemble des filières. La Déclaration de Politique Communautaire 2014-2019 (DPC) déclare permettre aux élèves de se projeter dans des perspectives à court, moyen et long terme et les préparer aux exigences du monde professionnel et de l’enseignement supérieur. Mais elle annonce également vouloir lier davantage les politiques régionales de l’emploi et de l’économie aux politiques communautaires de l’enseignement. Il s’agit très clairement de rapprocher l’école du monde de l’entreprise par une formation qui se révèle toujours plus utilitariste.

Certification par unité d’acquis d’apprentissage ou comment détruire l’enseignement qualifiant

L’instauration de la CPU entraîne des changements organisationnels majeurs tels que la concentration des cours généraux sur 2 jours plutôt que répartis sur 5, et ce au détriment du rythme de concentration des élèves. Cela implique également une division dans le corps enseignant entre les profs de cours généraux et les profs d’options. Ceux-ci ne sont plus amenés à se rencontrer et à voir l’élève dans sa globalité.

À cela s’ajoutent de nouveaux référentiels de connaissances générales qui varient selon les secteurs pour correspondre – ou plutôt se limiter – aux compétences nécessaires à la vie professionnelle, tels qu’imaginés par le patronat. Par exemple, une future coiffeuse sera désormais évaluée en français sur sa capacité à mener la conversation, à prendre un rendez-vous, à vendre des produits (etc.). La compréhension critique d’un texte est abandonnée. Dès lors, tout ce qui est formation générale est détruit au profit d’une formation ultra spécialisée. Mais les politiciens pourront se féliciter de limiter l’échec scolaire, via le nivellement par le bas, bien entendu.

La CPU reflète une volonté des dirigeants de former, dans l’enseignement qualifiant, de petites mains capables d’exécuter des mono-tâches et qui n’ont donc, selon cette idéologie, pas besoin d’apprendre à réfléchir. À terme, l’enseignement qualifiant sera vidé de sa substance, probablement au profit de l’enseignement CEFA (Centre d’Education et de formation en Alternance) et IFAPME (Institut wallon de Formation en Alternance et des indépendants et Petites et Moyennes Entreprises) qui coûtent bien moins cher et offrent une main d’œuvre à bas prix pour les entreprises.

Le bac à la belge, épreuve vérifiant les capacités des élèves à être des travailleurs soumis et efficaces

Les épreuves externes dans certains cours généraux sont, depuis plusieurs années, organisées en 2ème, 4ème et 6ème secondaire. Jusqu’à présent, la participation à ces épreuves standardisées restait à la discrétion des directions d’écoles. Cependant, dès juin 2015, ces examens externes deviennent obligatoires et certificatifs pour l’ensemble des élèves de 6ème secondaire. Nous soulevons, à ce propos, différentes inquiétudes.
Tout d’abord, la généralisation des épreuves externes implique une normalisation des pratiques pédagogiques des enseignants. Il s’agit ici d’un renforcement du contrôle sur le contenu des cours des professeurs et une restriction de leur liberté pédagogique.

Ensuite, on peut se poser des questions quant au contenu de ces épreuves. Au vu de ce qui a pu être observé ces dernières années, les examens ne portent que sur des tâches « simples » ne nécessitant pas d’esprit critique. Pour l’épreuve de français, par exemple, il s’agit de repérer des informations dans un texte. L’esprit critique et argumentatif n’est ni exercé, ni permis dans la manière dont sont rédigées les questions. L’examen consiste à évaluer la capacité de l’élève à s’aligner aux besoins du patronat.

Puis, quelle est la manière envisagée pour préparer les élèves ? Face à une évaluation, il est normal que le jeune ait pour objectif de réussir. Mais cela devient problématique lorsque les cours s’organisent autour de la réussite d’un examen sans valeur, pensé pour le monde de l’entreprise, plutôt que pour l’apprentissage et le développement d’un esprit critique. Le but de l’enseignement est-il de faire réussir une épreuve ou de permettre aux élèves d’apprendre et de progresser ? Une fois de plus, les cours vont perdre leur sens et leur contenu au profit de la formation d’exécutant docile.

De plus, la réussite de ce type examen va grandement dépendre du temps et de l’argent que les parents y consacreront. Il existe aujourd’hui un véritable marché des cours de remédiation, estimé à 300 millions d’euros par an en Belgique (1) avec des prix pratiqués qui varient entre 20 et 30€ de l’heure. En France, ce marché est évalué à 2,2 milliards d’euros et bénéficie d’incitants fiscaux. Il s’agit de l’individualisation d’une tâche qui devrait être prise en charge par la collectivité.

Enfin, un examen en fin de niveau équivaut nécessairement à un examen d’entrée dans le niveau supérieur. À l’heure où l’on parle de généralisé les tests ‘‘d’orientation’’ ou plutôt de découragement à l’entrée du supérieur, comme c’est actuellement le cas en fac de médecine, le bac à la belge pourrait bien constituer un élément clés dans ce processus.

Pour une lutte unifiée des élèves et du personnel de l’enseignement

La Fédération Wallonie-Bruxelles prétend que ces épreuves vont participer au développement d’une ‘‘école d’excellence’’. Mensonge ! Ce n’est pas en mettant en place ce type d’épreuve que l’on résout les problèmes d’inégalité, de ségrégation et d’inefficacité dans lesquels est plongé l’enseignement. En effet, tous ont une base commune: le sous-financement chronique et majeur du système éducatif !

Nous sommes dans un enseignement à deux vitesses. D’une part, ceux qui composent l’élite capitaliste reçoivent une bonne formation scolaire, complétée par un environnement socioculturel et économique riche. D’autre part, l’école forme de manière utilitariste la main-d’œuvre de demain – de préférence des moutons agiles. En plus de cela, l’idéologie néolibérale transparaît dans l’ensemble du vocabulaire employé dans les écoles et dans une bonne partie des activités qui y sont menées.

Dans le cadre du système capitaliste, toute réforme, même faite de bonnes intentions, ne peut remédier aux inégalités du système scolaire, reflet de la société. Les dernières ont, entre autres, œuvré à rapprocher l’école du monde de l’entreprise et à limiter les coûts de l’enseignement. Notre système scolaire, qui était déjà très boiteux, se retrouve amputé de tout sens au profit de la formation de futurs travailleurs dociles. Dans ce cadre, les conditions d’études des élèves et de travail des enseignants et de l’ensemble du personnel scolaire se dégradent inexorablement.
Ensemble, élèves, étudiants et travailleurs, nous devons nous unir et lutter pour un système scolaire qui ne soit pas organisé au profit de quelques-uns, mais bien de l’ensemble de la société, un enseignement socialiste.

* 7% du PIB pour l’enseignement : pour des infrastructures scolaires décentes et une réelle gratuité de l’enseignement, pour tous.

* Pour une gestion démocratique de l’enseignement : ce n’est pas au patronat de dicter sa volonté, mais à la collectivité de gérer démocratiquement l’enseignement.

* Pour un enseignement général-polytechnique et artistique de qualité pour tous : non à la ségrégation et aux filières de relégation, pour des classes plus petites et d’avantage de personnel éducatif.

* Pour un enseignement socialiste !

(1) Centre d’Action Laïque, L’école (in)égale – L’enseignement face au défi de l’inégalité, 2011, p.18.

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