Centenaire de 14-18 : A qui rendre hommage et comment ?

Les commémorations du centenaire de la première guerre mondiale arrivent à grands pas. Certains se frottent d’ailleurs déjà les mains à l’idée de l’affluence de touristes du monde entier se pressant sur les lieux des grandes batailles qui ont eu le sol belge comme décor. Une excellente occasion pour Jan Durnez (CD&V) par exemple, bourgmestre d’Ypres (ville martyre de la première guerre), de s’adonner à une grande opération de city marketing, lui permettant à la fois de détourner l’attention des problèmes quotidiens de ses administrés et de faire valoir une gestion marchande de la ville dans le plus pur style néo-libéral.

Par Simon (Liège)

Cette politique de Mr Durnez, navrante de banalité, ne doit pourtant pas cacher l’essentiel. A savoir la façon dont les commémorations de la première guerre mondiale vont pouvoir alimenter le discours dominant, celui de l’establishment capitaliste et des politiques à sa solde. La pléiade d’expositions et d’évènements en tous genres qui vont avoir lieu à ce sujet chez nous, d’Ostende à Neufchâteau, se fera au nom du devoir de mémoire. Un concept à la mode, au demeurant extrêmement pratique pour ranger les historiens dans une fonction inoffensive, celle de gardiens d’un passé révolu. Et qui, surtout, permet d’écarter toute tentative d’analyse des évènements du passé au nom du respect des morts et de leur sacrifice. Que va-t-on donc commémorer exactement durant ces évènements ?

Dans nos régions, il s’agira de dire la souffrance vécue par les soldats et les populations civiles, dans d’autres peut-être, on verra une pointe de chauvinisme reparaître. Mais en règle générale, chacun versera dans un humanisme de bon aloi, se désolera de l’absurdité de la guerre et, probablement, se félicitera que les institutions européennes soient aujourd’hui en place pour garantir la paix. Ce bel unanimisme ne devra surtout pas être troublé par ceux qui voudraient y regarder de plus près, surtout ceux qui viendraient jeter un regard militant sur les évènements de 14-18 car ‘‘ce ne sera pas le moment de parler politique.’’

Pour les marxistes, l’Histoire ne sert pas d’objet de décoration. Elle a pour fonction d’analyser les conditions de développement des évènements passés, de collecter et de conserver les expériences du mouvement social de façon à en tirer les leçons. Voilà pourquoi, à rebours des cérémonies clinquantes, nous nous penchons sur la première guerre mondiale afin d’en faire une analyse pour la classe des travailleurs et afin de rappeler quelques faits qui ne seront pas mis en lumière par les historiens officiels.

Parmi ces faits, on doit rappeler que cette guerre qui sera décrite dans les commémorations futures comme absurde et ‘‘voulue par personne’’ était en réalité une conséquence du développement du capitalisme à l’échelle mondiale et consciemment orchestrée par les classes dominantes de l’époque. Le capitalisme est un système qui ne survit qu’en extension : pour éviter les crises, les bourgeoisies de chaque pays, en situation de concurrence, doivent s’emparer de nouveaux marchés. C’est l’analyse que fait Lénine en 1916 dans le désormais célèbre ‘‘L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme’’. En 1914, ces nouveaux marchés, ce sont les territoires colonisés. Pour s’emparer de ceux de la nation adverse ou pour conserver les siens, chaque bourgeoisie doit recourir à la force et est contrainte pour cela d’employer les classes dominées de son pays. Pour y parvenir, elle va exciter les nationalismes, vanter ses particularismes culturels ou dénigrer ceux du camp adverse et, surtout, elle va recourir au mythe selon lequel les habitants d’un même pays ont des intérêts communs, qu’ils soient exploités ou exploiteurs.

A cette époque, il existait une possibilité de contrer ce discours et d’empêcher les ouvriers et les paysans du monde entier de s’entretuer pour les intérêts de leurs exploiteurs. Cette possibilité s’appelait la IIème Internationale Ouvrière. Organisés à l’échelle mondiale dans de puissants partis ouvriers, les travailleurs avaient le pouvoir de refuser la boucherie au nom de l’intérêt du prolétariat international. Telle ne fut pourtant pas l’option choisie par les dirigeants socialistes de l’époque : refuser la guerre aurait signifié rompre avec un système qui avait fait d’eux des privilégiés. Trotsky dira plus tard que la crise du mouvement ouvrier se résume à la crise de sa direction. La trahison des dirigeants socialistes (alors que des appels à la grève générale avaient pourtant été votés dans divers partis sociaux-démocrates européens en cas de guerre, afin de la stopper) et leur ralliement enthousiaste à leur bourgeoisie nationale laissa les travailleurs d’Europe livrés à eux-mêmes et incapables pour un temps de trouver une expression de classe valable. Mais dans chaque pays, des militants socialistes étaient restés fidèles à l’internationalisme. Réunis à la conférence de Zimmerwald, en Suisse, en 1915, ils entreprirent la construction d’un nouveau mouvement ouvrier international. Parmi ces militants se trouvaient des membres du parti bolchevique russe, qui devait ensuite diriger la révolution d’Octobre 1917.

Voilà aussi ce qu’oublieront de dire les organisateurs des commémorations lénifiantes de cette année : le succès de la révolution socialiste en Russie raisonna dans le monde entier, provoquant un réveil de la lutte de classe et des soulèvements ouvriers un peu partout. Les soldats, d’origine ouvrière ou paysanne dans leur immense majorité, fatigués par quatre années de guerre, trouvèrent dans la révolution bolchévique un moyen d’imposer la paix. Ce qui mis fin à la guerre, ce n’est certainement pas la volonté de dirigeants bourgeois revenus à la raison, mais bien l’agitation ouvrière avec au premier rang, la révolution allemande menée par les ‘‘spartakistes’’ de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. C’est cette révolution qui fit chuter le Kaiser Guillaume et mit fin au IIe Reich. Mais on doit aussi parler des mutineries contre les officiers et des fraternisations entre soldats ennemis qui émaillèrent la ligne de front dans le sillage de la révolution.
À Bruxelles aussi se sont levés les drapeaux rouges. L’establishment capitaliste a été forcé de faire des concessions majeures, comme le suffrage universel masculin. Mais ce n’était pas assez pour en finir avec la fièvre révolutionnaire et, en 1919, 160.000 personnes se mirent en grève, et plus de 290.000 l’année d’après. La journée des huit heures fut introduite en juin 1920 et, fin de cette même année, les travailleurs avaient retrouvé leur pouvoir d’achat d’avant-guerre.

Pour nous marxistes, le centenaire de la guerre 14-18 sera l’occasion de saluer la mémoire de ceux qui refusèrent l’idée de combattre leurs frères de classe et qui ont donné leur vie pour l’internationalisme. Loin d’en faire un objet de musée, leur expérience doit servir à nous rappeler l’importance de mettre à l’avant plan l’idée de la lutte de classe et de la solidarité internationale à l’heure où fleurit (et malheureusement même à gauche) l’idée que nous devons nécessairement nous ranger derrière un drapeau national.

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