Italie : Les étroites limites du « moindre mal »

Les élections d’avril 2006 ont porté la coalition de Prodi au pouvoir, mais surtout fait tomber Berlusconi. Christel Dicembre, membre de Lotta per il Socialismo, organisation-soeur du Mouvement pour une Alternative Socialiste en Italie, nous explique quel bilan nous pouvons déjà tirer de cette élection du « moindre mal ».

Alternative Socialiste : En avril 2006, la coalition de Prodi l’a emporté de justesse sur Berlusconi. On peut dire que cette légère victoire était surtout dû à l’effet anti-Berlusconi plutôt qu’à un vrai programme. Peut-on déjà faire une petite analyse du gouvernement Prodi et voir ses résultats ?

Christel Dicembre : "Et ses dégâts ! Ce que l’on peut constater c’est que, comme on l’avait prévu lors de la campagne électorale, Prodi se trouve être un atout de la bourgeoisie pour attaquer les travailleurs tout en limitant au maximum la contestation sociale. En décembre, un sondage réalisé par l’Institut National de Statistiques pendant la crise du budget, a fait ressortir qu’à la question de savoir si Prodi faisait mieux ou pire que berlusconi, 40% des sondés ont répondus « pire ». L’illusion du moindre mal n’a pas duré longtemps. Sa situation actuelle résulte de 3 facteurs :

1. Le sentiment anti-Berlusconi qui règne encore, renforcé par une manifestation ce 2 décembre dernier où Berlusconi a réussi à mobiliser sa base à tel point que l’on a pu assister au défilé d’un million de manifestants à Rome pour réclamer la chute du gouvernement et la démission de Prodi.

2. Le rôle de la bureaucratie syndicale. En Italie, le taux de syndicalisation est nettement plus bas qu’en belgique et la base est étouffée par une bureaucratie qui est comme cul et chemise avec le gouvernement et l’équivalent italien de la FEB, la Confindustria.

3. L’absence d’un parti capable de représenter les intérêts des jeunes, des travailleurs et des immigrés."

AS : Il existe tout de même le PRC (Partito di Rifondazione Comunista/Parti de la refondation communiste, créé en 1991 et issu de l’aile gauche du vieux Parti Communiste italien). N’est-il pas capable de représenter la classe ouvrière ?

CD : "Le PRC participe au gouvernement et a jusqu’à présent a signé toutes les attaques qui en sont sorties."

AS : Peux-tu préciser ?

CD : "Le PRC a finalement signé le refinancement de la mission militaire italienne en Afghanistan, la mission de l’ONU au Liban (le mouvement anti-guerre est assez fort en Italie NDLR), mais surtout, le PRC a signé le Budget (Finanziaria) qui prévoit des coupes drastiques dans l’enseignement et l’augmentation du nombre d’élèves par classe (alors qu’il y a déjà 30 élèves par classe actuellement), des coupes dans les soins de santé (avec l’instauration d’une taxe supplémentaire pour les urgences selon la gravité), le passage à un système d’enveloppe fermées pour les transports publics dans les communes et le service civil (pompiers, gardes forestiers,…), et d’autres choses encore."

AS : Le PRC a-t-il un autre choix pour éviter le retour de Berlusconi ?

CD : "Il faut savoir que Refondazione Comunista était, ou est encore, mais de moins en moins, un parti radical qui a eu jusqu’à l’invasion de l’Irak un grand potentiel de mobilisation avec une implantation aussi bien chez les jeunes que chez les travailleurs. Si, comme il le prétend, il s’est présenté dans la coalition de Prodi pour la tirer à gauche, il aurait pu tout à fait donner un soutien critique au gouvernement en restant à l’extérieur et en donnant son accord en fonction des propositions comme c’était le cas lors du précédent gouvernement Prodi (entre 1996 et 1998). Il y a une incohérence complète : il participe à la fois au gouvernement et essaye de mobiliser à la base. Ce double jeu ne peut duper longtemps les travailleurs. Alors que dans cette période de remontée des luttes au niveau européen, on peut assister à la création de nouveaux parti des travailleurs (comme le WASG en Allemagne ou le CAP en Belgique), le PRC aurait pu être un fameux facteur d’attraction. Mais sa direction est complètement bourgeoisifiée, a oublié sa base et se tourne vers la « gauche » européenne. Et vu que le PRC a en son sein des tendances bien plus radicales, on ne peut lui donner encore une espérance de vie bien longue."

AS : En 1998, c’était le PRC qui avait fait chuter Prodi en lui retirant son soutien, Berlusconi était ensuite arrivé au pouvoir. Est-ce qu’on en est réduit à un jeu de pendule entre Berlusconi et Prodi ?

CD : "Entre 1996 et 1998, il y a eu le début de la libéralisation des chemins de fer, l’introduction de l’Italie dans le processus de l’euro (qui a signifié une inflation de 50% pour les Italiens…et l’incapacité de dévaluée la monnaie comme ce fut le cas dans le passé) entre autres mesures associales. Plutôt qu’un balancement entre Prodi e Berlusconi, il y a une continuité. Mais c’est vrai que tant qu’il n’y a pas d’alternative à la politique néo-libérale, ce sera sans cesse un jeu entre une droite dure et un « moindre mal » qui ressemble au choix entre la peste et le choléra. Mais si le PRC n’abaissait pas son programme et défendait vraiment un programme socialiste, au vu de son potentiel de mobilisation, il irait vers un succès croissant, notamment avec le détachement des travailleurs par rapport aux syndicats confédéraux et la montée d’influence de syndicats de base (comme COBAS).

"Pour illustrer cela, on a vu il y a quelques semaines le directeur général de la CGIL (Confédération générale italienne du travail), se rendre à l’usine Mirafiori (l’usine historique de Fiat) pour y défendre le budget du gouvernement. Il s’est fait suffler par les travailleurs, qui sont sortis avant la fin du speetch, certains criant « Bertinotti, traître ! » (Bertinotti est l’ancien président du PRC et depuis peu Président de la Chambre des députés italienne).

"Un appel à la grève générale a été lancé par COBAS pour le 17 novembre contre le Budget austère de Prodi, la CGIL est aller tracter devant les usines pour dire que la grève ne serait couverte en aucun cas !

"Le PRC reste un point de référence, mais cela risque de basculer avec les nouvelles réformes des pensions (une augmentation de l’âge pour accéder à la retraite) alors que le PRC s’est toujours présenté comme le défenseur des pensions. Bertinotti n’en souffrira pas, il a déjà deux pensions en plus d’un salaire…"

AS : Peux-tu dire un mot au sujet de notre organisation en Italie ?

"Nous sommes très très peu présent pour l’instant puisque le travail du CIO (Comité pour une internationale Ouvrière, organisation révolutionnaire mondiale dont le MAS/LSP est la section belge) sur place ne date que de 4 mois, en envoyant là-bas des camarades de différents pays. On ne peut pas développer de véritable travail en Europe sans être présent en Italie, où le développement des luttes est impressionant.

"Nous avons cependant déjà de bonnes perspectives de construction. cela faisait déjà quelques années que nous avions des contacts sur place, mais nous tirions nos analyses et perspectives de l’extérieur. Mais de l’extérieur, il est difficile de savoir exactement ce qui vit parmi la classe ouvrière."

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