Interview de Silvio Marra, ex-délégué sécurité en sidérurgie
A LIEGE SE déroule un procès consécutif à un accident grave survenu à la Cokerie d’Arcelor (ex-Cockerill-Sambre). L’accident a fait 3 morts et 26 blessés. Une demi douzaine de travailleurs (cadres, agents de maîtrise, employés, ouvriers) se retrouvent sur le banc des accusés. Mais pas les dirigeants de l’entreprise. Nous avons interrogé Silvio Marra, ancien délégué principal en Sécurité et Hygiène aux Forges de Clabecq.
Propos recueillis par Guy Van Sinoy
– Alternative Socialiste: Silvio, en tant que militant, comment vois-tu les problèmes de sécurité au travail, en particulier en sidérurgie?
– Silvio Marra: Un accident mortel dans une usine qui occupe plusieurs centaines de travailleurs crée un certain mécontentement, une certaine mobilisation. L’intérêt est d’utiliser cette mobilisation, cette énergie sociale pour la réinjecter dans la prévention des accidents de travail. Il faut utiliser l’émotion provoquée par les accidents pour éviter de nouveaux accidents, pour impulser la prévention.
Evidemment le patron hésite toujours. Chaque fois qu’il peut l’éviter, il ne fait pas d’investissements de prévention. Donc faire la prévention des accidents c’est l’obliger à faire les investissements nécessaires pour rendre les machines les plus sûres possibles.
Ensuite, il faut primo: un personnel d’encadrement formé et qui ai suivi des cours. Secundo: du personnel de maîtrise (contremaîtres, brigadiers) ayant suivi une formation théorie et pratique en matière de prévention, et qui soit capable d’analyser les accidents. Tertio: les ouvriers doivent aussi être impliqués. Qui doit animer tout cela? En principe c’est la délégation syndicale sécurité et hygiène: faire participer le personnel en organisant, par exemple, des assemblées quand c’est nécessaire et de toute façon en tenant un dialogue constant pour la prévention des accidents.
A Clabecq nous avions réussi à réduire assez bien les accidents: le taux de gravité et le taux de fréquence ont été réduits par 5. Mais à chaque accident, nous avons organisé des petites assemblées, tenu des débats avec les travailleurs pour les faire participer, pour déterminer ensemble les causes de l’accident, pour faire participer les contremaîtres et les cadres, et pour créer le rapport de forces suffisant pour améliorer les machines, la formation, la participation et le comportement du personnel.
Dans une entreprise où on trouve du personnel découragé, inorganisé syndicalement, qui va être le catalyseur pour mener le combat pour la prévention des accidents? Ce ne peut être que les militants syndicaux qui ont une conscience et une formation politique. S’il n’y a pas de militants qui rêvent d’un autre monde, qui ont envie d’une autre société, cela devient des campagnes occasionnelles, puis de la routine et la situation ne s’améliore pas.
– AS: Justement à Arcelor le calendrier de fermeture de la phase à chaud est non seulement établi mais accepté par les directions syndicales. Est-ce que cela génère une climat social favorable pour travailler en sécurité?
– SM: Dans une situation de restructuration, le fatalisme commence à s’installer tant du point de vue politique que du point de vue de la sécurité. Cela dépend une fois de plus de la conscience politique des militants syndicaux. Ils sont l’avant-garde des travailleurs. Même si ça va mal, malgré les difficultés financières et économiques, malgré l’annonce d’une prochaine fermeture, il faut continuer la prévention des accidents comme si l’entreprise allait continuer. Il ne faut jamais dire «Puisque maintenant on va fermer, on ne sait plus rien faire…» car alors c’est la catastrophe. C’est la situation la plus dangereuse qui puisse exister dans une entreprise: si on laisse tomber les bras, les accidents se multiplient.
– AS: Au palais de justice de Liège ce sont des «petits» sur le banc des accusés. A ma connaissance c’est la première fois qu’on poursuit des ouvriers a propos d’un accident du travail. Est-ce que la responsabilité principale n’incombe pas à la direction de l’entreprise?
– SM: La gestion d’une entreprise, dans tous ses aspects, dépend de la direction. Celle-ci est responsable sur le plan financier, technique, commercial et de la sécurité. Le patron est légalement LE responsable de l’entreprise. S’il y a sur le banc des accusés quelques ouvriers, contre-maîtres et petits cadres sans que la direction ne soit inquiétée, c’est le reflet d’une volonté politique de ne pas vouloir aller jusqu’au fond des choses, de ne pas aboutir à la vérité. Car tout ce qui se passe dans une entreprise est sous la responsabilité de la direction générale. D’autant plus qu’un accident de travail n’arrive pas comme cela sans prévenir. Il y a toujours des signes prémonitoires, des signaux avertisseurs, des feux clignotants qui s’allument. S’il y a dans l’entreprise des gens sensibilisés à la sécurité, ils perçoivent ces signaux. La direction générale doit aussi détecter ces signaux et elle a l’obligation légale d’intervenir AVANT l’accident.